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25 Juin 2014
MOUVEMENT DU 3 FEVRIER
Communiqué n°014
Tchad : la fonction publique de tous les paradoxes
Le pétrole du Tchad, c'est un peu la rivière Pactole du légendaire roi Midas. Depuis 2004, depuis ces dix premières années d'exploitation, il a rapporté au pays 7,5 milliards d'euros, ce qui devait assurer à l'Etat une manne suffisante pour pérenniser son fonctionnement. Que nenni ! Au pays des Sao, la rivière Pactole s'est transformée en désert des Tartares. Suivant l'exemple d'Etats faillis comme la Somalie ou la République Centrafricaine, le Tchad s'est retrouvé dans l'incapacité de payer ses fonctionnaires durant ces deux derniers mois. C'est donc Saley Deby, le propre frère du Président, par ailleurs tout-puissant Directeur général des douanes qui a puisé de sa cassette personnelle pour régler la facture et éviter la fronde sociale de plus en plus menaçante. Ce geste n'a toutefois rien de généreux, puisque Saley est connu pour prélever la quasi-totalité (entre 90 et 95 %) des recettes douanières générées par le commerce au Tchad, une somme faramineuse qui aurait du être destinée, en temps normal, à la bonne marche de l'administration.
Malheureusement, la fonction publique tchadienne ne souffre pas que d'un défaut de paiement récurrent de ses agents. Le niveau des salaires pose également problème. La fourchette basse dépasse à peine les 50 000 francs CFA par mois (85 euros environ). En ce qui concerne la fourchette haute, outre les hauts fonctionnaires, pour un administrateur civil de niveau master, comptez une gratification mensuelle de l'ordre de 200 000 à 250 000 Francs CFA par mois (entre 300 et 380 euros), ce qui pour supporter le coût exorbitant de la vie à Ndjamena, est bien trop faible ; d'autant que les salaires ne sont quasiment jamais revus à la hausse et le saut de puce consenti après la grève de 2012 n'a été qu'une goutte d'eau dans la mer des quelques 7 % d'inflation annuels. Pour un PMA (pays les moins avancés) comme le Tchad, pour qui le pouvoir d'achat de la fonction publique est un poumon on-ne-peut-plus essentiel de l'économie, cette situation est proprement dramatique et l'inaction gouvernementale ne fait que gréver toujours plus le pouvoir d'achat des 69 954 fonctionnaires (au recensement de 2012), hors forces de sécurité. Il n'a donc rien d'étonnant à ce que la corruption soit présente à tous les échelons de l'administration – le Tchad est 169ème sur 174 au classement de Transparency International des pays les plus corrompus- les fonctionnaires étant quasiment obligés de se livrer à ce genre de pratique pour permettre leur subsistance.
Pourtant, un chiffre devrait inciter à la confiance : 432 millions d'euros sont consacrés annuellement à la masse salariale des fonctionnaires, ce qui ramené au près de 70 000 agents de la fonction publique devrait garantir à chacun un revenu moyen de 6200 euros annuels, bien au-delà des 550 euros du salaire annuel du tchadien moyen calculé par la Banque Mondiale et au niveau de pays aussi « développés » que la Colombie, l'Afrique du Sud ou la Bulgarie. Or, il est certain que plus de 95 % des fonctionnaires tchadiens ne touchent pas cette somme, quand ils la touchent. Ajoutez à cela que sur le recensement de 2012 8 499 agents, 12 % de l'ensemble des fonctionnaires, étaient payés mais n'avaient pas de poste défini, qu'un grand nombre, plus de 4000 selon les estimations, bénéficiant d'accointances avec le pouvoir perçoivent deux, trois, voir parfois quatre salaires pour un rendement zéro, que le système intégré de gestion du personnel de l'Etat n'a jamais vraiment fonctionné, vous obtenez tous les ingrédients pour une détournement massif de fonds publics au profit d'une infime minorité et au détriment d'une immense majorité.
Et ce n'est pas tout. Des opérateurs de l'Etat, détachés de l'administration centrale et ayant leurs budgets propres, comme l'Office tchadien du tourisme ou l'Office tchadien de régulation des télécommunications, sont devenus des places-fortes du népotisme où se pratiquent à tours de bras intégrations de complaisance, le plus souvent sur une base ethnique, et rémunérations indues. A part dans certains ministères isolés, les grilles salariales n'ont pas été revues à la hausse depuis la nuit des temps, ce qui crée des inégalités criantes entre les différentes administrations, et succinctement, entrave la capacité de réformes des ministères les plus défavorisés. La fonction publique territoriale (préfectures, sous-préfectures...) ainsi que la fonction publique hospitalière sont encore plus exsangues et les syndicats de fonctionnaires se trouvent incapables de peser dans les négociations face un gouvernement prédateur qui n'hésite pas employer la force, comme en 2011, pour faire rentrer les agents publics dans le rang.
Le Mouvement du 3 Février, qui réaffirme à chacun de ses communiqués qu'il est la grande force d'opposition constructive au régime d'Idriss Deby, la seule ayant jamais existé depuis la disparition d'Ibni Oumar Mahamat Saleh en 2008, propose donc plusieurs pistes de réforme de la fonction publique, afin que les serviteurs de la nation retrouvent le rang et la dignité qui leur sont échus :
créer un grand Ministère de la Réforme de l'Etat, chargé de piloter le renouveau d'une administration trop longtemps marquée par son manque de moyens, son inorganisation et son népotisme ;
réévaluer annuellement, au 1er janvier, les grilles de salaires des fonctionnaires en fonction de l'inflation ; étaler sur cinq ans une hausse de 50 % (10 % par an, afin d'éviter le choc d'inflation) de la rémunération des agents publics afin de compenser le retard pris sous l'ère Deby ;
revaloriser les pensions de retraite et les pensions de réversion de la même manière ; les mensualiser (en lieu et place d'un paiement trimestriel) ; s'assurer de leur régularité et de l'effectivité de leur versement
mettre en place un système de paiement automatisé et informatisé des fonctionnaires après en avoir fait le recensement et écarter les doublons, les rémunérations de complaisance ect. Ce système permettra d'éviter à la fois les phénomènes de corruption et les retards dans les versements de paie, qui engendrent souvent des situations familiales dramatiques ;
refonder les catégories de fonctionnaires obsolètes en un système à six niveaux (1 à 6 avec des sous-groupes 1+, 1, 1- ect...) qui prendront à la fois en compte le diplôme de l'agent, ses évaluations hiérarchiques mais aussi la validation des acquis de l'expérience, développée tout au long de son parcours professionnel ; à ce propos, mettre en place une Caisse nationale de formation professionnelle (CNFP), abondée à hauteur 15 milliards de Francs CFA annuels (200 000 francs par agent), destinée dans un premier temps à former les agents du secteur public dans des domaines aussi essentiels que l'informatique, les langues étrangères...
instituer des négociations annuelles entre le gouvernement et les syndicats afin que ceux-ci puissent faire part de leurs doléances ; créer un Comité supérieur de la fonction publique composé pour la moitié de fonctionnaires, pour un quart de membres des syndicats au pro rata de leur représentativité et pour un autre quart de personnalités extérieures désignées par l'Assemblée Nationale après un vote à la majorité des 2/3. Ce comité sera chargé d'examiner les demandes d'intégration et sa composition devrait être en mesure de garantir une certaine impartialité.
Créer une haute cour de discipline budgétaire et financière, intégrée à la future Cour des Comptes et qui aura comme responsabilité de juger les fonctionnaires coupables de faits de corruption avant le cas échéant de transmettre les dossiers au pénal ;
Ainsi, la fonction publique telle qu'imaginée par le M3F après le départ de Deby permettra au Tchad d'à la fois mener les réformes attendues par toute la population et de dynamiser une économie pour le moment indigente. Nul doute également que l'Etat tchadien pourra utiliser les revenus du pétrole pour financer ces réformes absolument essentielles et ne sera pas obligé d'aller hypocritement quémander le soutien des bailleurs de fonds à l'étranger, comme c'est le cas ces jours-ci.
Fait à Paris (Gare de Lyon) le 25 juin 2014,
Collectif