Mali : Difficile chemin vers la paix
Les troubles au Nord-Mali n’ont pas commencé avec la déferlante djihadiste arrêtée in extremis par l’intervention française de janvier 2013 ; et les négociations en cours à Alger ne sont pas les premières du genre.
Depuis l’indépendance, le Nord du Mali est secoué par des insurrections armées, ponctuées par des accords de paix, souvent en résonnance avec les rébellions du Niger.
Il faut rappeler que la première insurrection date de l’époque coloniale. Puis, il y eut l’insurrection durement réprimée de 1962-1964 ; celle de 1990-1995, traitée par les Accords de Tamanrasset en 1991 et le Pacte national ; le soulèvement de mai 2006, donnant lieu aux premiers accords d’Alger (juillet 2006) ; et la rébellion de 2007-2009.
Aussi, on ne peut s’étonner des difficultés à faire aboutir les négociations de paix en cours dans le cadre du processus d’Alger, faisant suite au processus de Ouagadougou.
C’est malheureusement une banalité de constater que sous toutes les latitudes, une fois le conflit armé déclenché, la route vers la paix et la stabilité est longue, sinueuse et cahoteuse.
Les causes profondes de l’instabilité au Nord-Mali sont celles qu’on trouve dans la plupart des pays de la zone saharo-saharienne, de l’Atlantique à la Mer Rouge, et qui relèvent essentiellement du sous-développement et de la mauvaise gouvernance.
Cependant dans cette zone, l’irruption de groupes djihadistes modifie profondément et durablement la donne et rend la tâche très compliquée pour tous les acteurs.
Pour les mouvements autonomistes, dont le plus visible est le MNLA, il est difficile de signer, comme par le passé, des accords sans trop y croire, afin d’éviter l’isolement international, accumuler quelques gains sur le dos du pouvoir central, en attendant le prochain round.
Dans le nouveau contexte, les groupes djihadistes, exploiteraient rapidement les frustrations de la base contre les accords, pour récupérer les combattants.
C’est qu’en réalité, malgré les distinctions purement sémantiques entre « laïques », « porteurs derevendications locales légitimes », et « terroristesétrangers », « islamistes extrémistes », sur le terrain, les frontières entre les uns et les autres sont très fluides.
Les petits chefs de groupes militaires, qui exercent un chantage permanent sur les directions politiques, passent facilement d’un camp à un autre ; sans compter ceux qui font allégeance à plusieurs mouvements à la fois. Signer les accords présente un autre risque pour les autonomistes ; c’est qu’en cas de réintégration dans les sphères nationales, ils seront obligés de cohabiter avec les groupes et les notables issus de la région et qui se sont toujours battus politiquement et même militairement contre le sécessionnisme, et donc risquent à la longue d’être marginalisés.
L’alignement très étrange des médias français, suisses, américains et arabes, sur les positions du MNLA, a installé dans l’opinion des contre-vérités sur lesquelles surfent les indépendantistes et qui risquent de disparaître en cas normalisation.
« Le Nord-Mali, peuplé de Touaregs, massacrés par les Noirs du Sud, parce qu’ils réclament l’indépendance de leur territoire historique, l’Azawad ».
Dans ce genre de phrase couramment entendue dans les commentaires des grands médias, chaque affirmation, à part les mots de liaison, est entièrement fausse.
En cas d’élections par exemple, on constatera que les indépendantistes ne représentent qu’une partie chez certains clans de la région de Kidal (Ifoghas, Idnans, Taghatmalates; mais pas les Imghads), laquelle région représente un sixième du territoire et six pour cent de la population du Nord-Mali (selon le recensement de 2009, la répartition démographique des trois régions du Nord-Mali est : région de Tombouctou 681 691 habitants ; région de Gao : 544 120 ; région de Kidal : 67 638 habitants).
Quant au caractère « historique » de l’Azawad, il remonte seulement aux années 90, quand les indépendantistes se sont emparés de ce terme qui désigne une vallée fossile dans la région de Tombouctou, entre la ville d’Araouane et les salines de Taoudéni, d’une superficie totale de 380 km².
Il y a sûrement de dirigeants de la rébellion qui sont conscients du piège dans lequel ils sont enfermés, et qui veulent sortir de l’engrenage de la violence.
Les autorités de Bamako et la médiation internationale doivent faire preuve de tact et de souplesse pour ne pas les mettre dos au mur. Ce qui n’est pas facile.
Du côté du pouvoir central, l’opinion est parfois agitée par des tendances sectaires.
Toute allusion aux erreurs commises, en particulier certaines brutalités de l’armée gouvernementale contre les civils, et le délaissement de certaines régions en termes de services sociaux, est violemment rejetée comme étant la propagande « des bandits armés et leurs maîtres français ».
Les réactions très hostiles dans certains journaux bamakois, non pas envers certaines clauses du projet d’accord, mais contre le principe même de « s’asseoir à la même table que ces gens-là », et l’expulsion de Kidal des habitants « noirs » accusés d’être des « complices du Mali », illustrent le fossé de méfiance qui s’est creusé au fil des années, au sein de la société, elle-même.
Abdoulaye Diop, le ministre malien des Affaires étrangères, salue les représentants de certains groupes rebelles armés après l’accord de paix d’Alger du 1er mars 2015 (Copyright Afrique-Asie)
Cela pose la question de la qualité du leadership au sens large : non seulement les autorités de l’Etat, mais aussi la classe politique, la société civile et l’élite intellectuelle. Il est frappant de constater que dans les périodes de très grandes tensions, les élites traditionnelles « rétrogrades » (chefs religieux, notables tribaux) ont joué un rôle d’apaisement et de renforcement de l’unité, plus grand que celui des élites dites modernes et progressistes. Un responsable nigérien disait récemment que si nos Constitutions admettaient l’existence de partis à idéologie religieuse, ces derniers auraient facilement la majorité aux élections, s’ils se présentaient comme « islamistes modérés ».
L’échec de nos Etats issus de l’indépendance, est en grande partie idéologique.
Depuis la fin de la Guerre froide, on assiste non pas à un recul des idéologies socialisantes, mais à un rejet de tout discours politique simplement rationnel.
Relever le défi idéologique est à mon avis, la première responsabilité de l’élite engagée dans la transformation sociale en Afrique et le monde arabe.
En second lieu il ne faut pas perdre de vue que la nuisance terroriste ne sera pas éliminée facilement, ni rapidement. Si l’éradication des structures purement militaires de ces groupes peut être envisagée avec le temps, le phénomène des attentats individuels perdurera. La question n’est pas d’éliminer tout risque terroriste, mais c’est plutôt celle de la capacité de l’Etat et de la société à gérer ce risque.
La réconciliation avec les rebellions armés en est un préalable essentiel. Mais la véritable paix, ce n’est pas simplement le silence des armes, mais la paix sociale.
Il faut réparer les déchirures dans le tissus national par des discours forts, des mesures à forte teneur symbolique, capables de retourner les esprits les plus sceptiques, et évidemment il faut s’attaquer aux causes profondes de ces crises.
Ces causes sont connues, reconnues et souvent rappelées : la corruption des dirigeants, l’absence de stratégie de développement, les déséquilibres entre régions et communautés, qu’on résume par la mal-gouvernance.
L’effet le plus catastrophique de cette mal-gouvernance, c’est le blocage de toute perspective d’épanouissement professionnel et social pour les jeunes, malgré la multitude de programmes financés par l’extérieur, et malgré les changements d’équipes au pouvoir.
Les protagonistes maliens devraient montrer que s’ils sont soucieux de se réconcilier entre eux, ils sont encore plus soucieux de se réconcilier avec le « peuple d’en bas », en particulier la jeunesse. (fin)