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Makaila, plume combattante et indépendante

Makaila.fr est un site d’informations indépendant et d’actualités sur le Tchad, l’Afrique et le Monde. Il traite des sujets variés entre autres: la politique, les droits humains, les libertés, le social, l’économique,la culture etc.

Réfugies de la Chapelle (Paris): Entre racisme et indifférence au pays des Droits de l’Homme

Réfugies de la Chapelle (Paris): Entre racisme et indifférence au pays des Droits de l’Homme
Réfugies de la Chapelle (Paris): Entre racisme et indifférence au pays des Droits de l’Homme

(Dimanche 26 Juillet 2015)

 

Nul ne peut définir le racisme plus que ceux qui l’ont vécu et subi. Ils le détectent à travers les mots et les paroles. Ils le lisent entre les lignes, dans les yeux, dans le regard de ceux qui n’affichent pas leur racisme, alors que dans leur for intérieur, ils le sont jusque dans leur substantifique moelle. Il suffit de décortiquer leur regard pour se rendre compte de l’évidence.

Des jeunes, des moins jeunes, des femmes avec ou sans enfants, originaires de pays africains issus de décolonisation, dirigés par des dictateurs, d’autres issus de pays déchirés par des guerres civiles (alimentées par des puissances qui ont un intérêt majeur économique ou géopolitique dans ces catastrophes humaines), ont quitté leur pays en quête de liberté, de paix et de conditions de vie dignes et décentes. C’est leur droit le plus absolu.

Seulement voilà, en lisant les articles de la Déclaration des Droits de l’Homme, qui était, notamment, signée par plusieurs pays, y compris la France, mon pays la Tunisie et d’autres pays, je suis stupéfaite devant l’hypocrisie de plusieurs autorités actuelles qui ont torchonné ce document précieux.

Article 3: « Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne ».

Article 13: 1. Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l'intérieur d'un Etat.
2. Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays.

Article 14 : Devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l'asile en d'autres pays.

Nous savons tous que les militants de droits de l’homme partout dans le monde luttent afin que cette convention soit respectée par les autorités des pays signataires.

En tant que soutien bénévole dans le camp des réfugié-e-s de Pajol, La Chapelle (Paris) depuis Deux semaines, je suis profondément dépitée par l’indifférence des associations et des autorités sur le sort des personnes sur camp.

Formé après l’évacuation par la police, début juin, des réfugiés qui occupaient le sous-sol du pont de la Chapelle, le camp de Pajol compte aujourd’hui plus de 250 réfugiés : ils sont Soudanais, Tchadiens, Erythréens, Ethiopiens tous âges et sexes confondus (femmes, enfants, jeunes et moins jeunes…) Il y en a ceux qui sont de passage pour rejoindre la Grande-Bretagne et ceux qui demandent l’asile en France.

Afin d’aider ces réfugiés (ces damnés de la terre) à trouver des solutions idoines qui pourraient changer leur sort, des bénévoles majoritairement constitués d’individus et de militants indépendants s’activent sur place pour l’organisation du camp. Des bénévoles au cœur gros qui se chargent aussi d’accompagner les réfugiés aux hôpitaux, ou auprès de quelques institutions pour entamer les démarches de demande d’asile. Tandis que d’autres sont là pour soutenir moralement les réfugiés. Ces soutiens qui sont, aussi, le pont entre les réfugiés et les autorités[1].

En ce dimanche 26 juillet 2015 où plusieurs bénévoles avaient besoin d’un moment de repos. L’après-midi nous n’étions pas très nombreux. Il pleuvait ce jour-là et le temps a brusquement changé devenant légèrement froid. Mais vu la différence climatique entre leurs pays d’origine et l’Europe, les réfugiés avaient trop froid.

Sans abris, leurs vêtements, leurs matelas, leurs couvertures étaient totalement mouillées. Quand je suis arrivée sur le camp vers 15h, ils n’avaient pas encore mangé[2]. Les femmes et les enfants sont allés chercher refuge dans un jardin à côté.

Il pleuvait encore quand Olivia (une des bénévoles) est allée chercher une bâche dans sa voiture pour cacher le coin « cuisine ». D’autres soutiens sont arrivés mais nous n’avions pas les moyens pour aider ces gens. Visiblement, notre seule présence les rassurait. La police municipale est passée aussi prendre en photos tous ceux qui étaient sur le camp. Sans prévenir. C'est bien dommage, car nous aurions au moins affiché nos plus jolis sourires devant leurs objectifs !

Des jeunes, au regard perdu et inquiets pour un lendemain inconnu, étaient adossés contre les murs, d’autres sont allés s’abriter dans une entrée de parking.

Je fus habitée par un sentiment bizarre. Un sentiment mêlé d’indignation et de révolte. J’avais souhaité que la terre m’avale pour ne pas regarder une telle humiliation, une telle dignité foulée au pied aussi bien par les pays d’origine que par celui d’accueil.

Un habitant, qui allait entrer dans son immeuble, a préféré changer de parcours et passer devant eux avec son chien, dans l’entrée du parking, les fusillait du regard.

Ayant peur qu’ils ne soient agressés par le chien, Fathia (soutien) se rapproche d’eux pour les rassurer. Visiblement, l’homme voulait juste les intimider. Il n’a pipé mot mais son attitude et son regard puaient déjà le racisme.

A ce moment, j’ai eu une haine viscérale contre les pays capitalistes, les dictatures, les systèmes opprimants dans les pays africains et ceux qui les alimentent. J’ai remis en question le fameux mensonge des « Droits de l’homme en France ». Quel type d’homme a le droit dans ce pays ? En tant que Noire tunisienne, j’ai déjà, senti aussi chez moi ces deux poids deux mesures. En Tunisie. Les immigrés subsahariens savent très bien de quoi je parle.

Ce dimanche 26 juillet, même le climat nous avait tourné le dos. Des jeunes tremblaient de froid. Il y avait un jeune chétif qui tremblait comme une feuille, il dissimulait à peine ses mains dans ses poches. Et devenait pâle tout d’un coup, incapable qu’il fut de maîtriser le mouvement de ses lèvres tellement ses dents craquaient.

Devant la situation, il fallait éviter une catastrophe. J’ai couru vers Olivier (soutien) pour lui dire qu’un jeune risque de mourir d’hypothermie, tout en appelant Adel (un autre soutien) qui habite dans le quartier pour amener un gilet, une veste ou un quelconque vêtement chaud.

C’est ainsi que Olivier accompagna le jeune dans un café du coin en lui offrant une boisson chaude. Ce jeune, qui a mis du temps pour reprendre une température normale, fait partie de ces nombreux autres jeunes toujours confrontés aux dures réalités de la vie de réfugié. La mort, ils l’ont déjà frôlé lors de leur long périple à travers les vagues géantes des étendues marines.

« En mer nous n’avions qu’un seul espoir, c’est regagner la terre. En arrivant au pays de droits de l’homme, je suis choquée, j’aurais souhaité me noyer avec ma fille pour ne pas subir cette humiliation», dit, amèrement une migrante[3].

 

Maha Abdelhamid

Doctorante en géographie sociale

Université Nanterre Paris X.

 

[1] Au cours d’une réunion avec la mairie de Paris, le 23 juillet 2015, une commission composée de 5 soutiens et sept réfugiés a mis l’accent sur les difficultés quotidiennes des réfugiés et sur le manque d’hygiène dans le camp. Elle a également demandé un lieu collectif sur Paris afin que le soutien puisse accéder facilement au camp des réfugiés en attendant que ces derniers règlent leur situation.

[2] Des bénévoles « islamistes » ont assuré la nourriture pour tout le camp ce jour- là, mais le ravitaillement n’est arrivé qu’à 18h.

[3] Hourya, 19 ans, Erythréenne et maman d’une fille de 3 ans. Elle a prononcé cette phrase au cours de la réunion avec la Mairie de Paris le 23 juillet 2015.

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