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Makaila, plume combattante et indépendante

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Tchad: déclaration du député Ngarléjy Yorongar à la Commission des Nations Unies

Tchad: déclaration du député Ngarléjy Yorongar à la Commission des Nations Unies

COMMISSION DES NATIONS-UNIES POUR LES DES DROITS DE L'HOMME

55è SESSION

POINT 17

20-21 Avril 1999

PROMOTION ET PROTECTION DES DROITS DE L'HOMME

(DEFENSEURS DES DROITS DE L'HOMME)

 

INTERVENANT : YORONGAR Ngarlejy, Président de la Fondation pour le Respect des Lois et des Libertés (FORELLI), ONG des Droits de l'Homme et de l'Environnement, Directeur des Publications de la Roue et de Phare Républicain et Député Fédéraliste de FAR/PARTI FEDERATION à l'Assemblée Nationale du Tchad.

 

Madame la Présidente, Mesdames, Mesdemoiselles et Messieurs les Participants,

Mon témoignage afférant à des faits vécus au Tchad a, pour objet, de rappeler à la présente session que les violations massives des Droits de l'Homme sont la règle en Afrique, ce que le respect de ces Droits est l'exception. Pour ce faire, ces violations doivent être systématiquement combattues par les Nations Unies. Au seuil du troisième millénaire, il est inadmissible de tolérer de telles pratiques. C'est pourquoi, les coupables de ces pratiques et leurs complices doivent être poursuivis et châtiés quels que soient.

L'Afrique est malade des Droits de l'homme, Elle est en panne de sa démocratie et en panne de son développement. Comment un continent si riche en toutes matières premières passe-t-il son temps à s'autodétruire, à mendier, à massacrer ses populations, à faire valoir ses propres turpitudes ? Qu'on en juge par les atrocités commises au Tchad, en Somalie, en République Démocratique du Congo, au Rwanda, en RCA, au Niger, au Congo-Brazzaville, au Liberia, en Sierra-Leone etc. Il suffit, pour se retrouver en prison, de dénoncer les violations des Droits de l'Homme, les actes de corruption avérés ou de contester la gabegie ou un projet mal géré.

Et pourtant, l'Assemblée générale des Nations-Unies a, dans sa résolution 53/144 du 9 décembre 1998, adopté la Déclaration sur le droit et la responsabilité des individus, groupes et organes de la société, de promouvoir et de protéger les droits de l'homme et les libertés fondamentales universellement reconnus, etc.

Ma communication sur les violations des Droits de défenseurs des Droits de l'Homme vient à point nommé. Car, j'en suis un des rescapés. C'est en dénonçant les violations des Droits de l'Homme au Tchad et en critiquant la mauvaise gestion du projet pétrole et la corruption qui en découle que j'ai été, onze fois, arrêté, battu, torturé, pillé et incarcéré sur instruction expresse des Hautes autorités de l'Etat. Les conditions de ma détention sont inhumaines. Deux ans plutôt, j'ai été, bien que candidat à l'élection présidentielle en campagne, arrêté et atrocement torturé. Du fait de ces tortures physiques, je suis un handicapé à vie. J'ai, à maintes reprises, failli être tué. Le 14 novembre 1998 à 14 heures, j'ai échappé à un attentat perpétré par un garde national en service à la prison centrale où je suis détenu. Privé de nourriture que ma famille m'apporte régulièrement, des visites de mes médecins, de mes avocats, de ma famille, de mes amis, j'ai dû, pour des raisons évidentes, me résoudre à me nourrir d'œufs pendant plus d'un mois, ce qui augmente, aujourd'hui, mon taux de cholestérol. Je suis, hier comme aujourd'hui, privé de mes indemnités parlementaires dans le seul dessein de provoquer la dislocation de ma famille. Ce qui est une réussite. Après huit (8) mois de détention dans ces conditions particulièrement inhumaines, je viens d'être libéré, le 4 Février 1999. A la suite d'un procès en diffamation qui n'en est pas une se passe de commentaires, j'ai écopé, pour diffamation, trois ans de prison ferme et 500.000 F CFA d'amende. Il faut relever ici qu'en tant que parlementaire en fonction, je suis protégé contre de tels procès par les dispositions pertinentes de la constitution, du règlement intérieur de l'Assemblée Nationale et du code de la presse. Au cours de ma détention, j'ai assisté, en direct, à des assassinats sur commande. Comme les 95% de la population carcérale sont des jeunes de moins de 25 ans, j'ai vécu quotidiennement des drames. Ces jeunes abandonnés à eux même puisque désœuvrés et affamés font de la prison un terrain de jeu et un restaurant de cœur (réfectoire) à la Coluche. Une fois là, ils rêvent de s'évader pour y revenir de nouveau. Et lorsqu'ils sont repris au cours de ces tentatives d'évasion, ils sont purement et simplement exécutés d'une balle dans la bouche pour faire éclater la tête. Et ce, sans aucune forme de procès. Une dizaine de ces jeunes ont ainsi été tués en ma présence. Et à chacune de ces occasions, le gardien-chef me rappelle que le même sort me sera réservé. Le 17 novembre 1998, après avoir visité ma cellule, Mme Emma AOUJ, experte indépendante chargée de la procédure 15.03 sur le Tchad et son assistant ont failli se faire abattre par le chef de la garde. Il a fallu la promptitude des autres gardes de prison pour neutraliser ce dernier en lui arrachant son fusil. D'après lui, il ne tolère pas les visites que " tous ces européens " viennent me rendre visite en prison. Informé de ce malheureux incident, le Premier Ministre décide de le relever. Mais, il est toujours en poste à la maison d'arrêt. N'est-il pas l'oncle du Chef de l'Etat ?

Comme Maître Moahamed Aref, doyen des avocats (Djibouti), membre d'Amnesty International et de la cellule de la coordination des ONG africaines des Droits de l'Homme, les défenseurs des Droits de l'Homme au Tchad sont soit tués soit traqués. En Février 1992, feu Me Joseph Béhidi, vice-président de la Ligue tchadienne des Droits de l'Homme (LTDH), a payé de sa vie pour sa lutte contre les violations des droits de l'Homme. M. Dobian Assingar, l'actuel président de la LTDH a échappé à plusieurs tentatives d'assassinat et pourchassé par la police politique à Moundou, Me Jacqueline Moudeina, avocate à la Cour et membre de l'ATPDH, a été assiégée à son domicile par les militaires de la garde républicaine (GR) au cours d'une réunion du collectif des ADH. Mme Kemnéloum Delphine, présidente de l'ATPDH est convoquée à maintes reprises par la police politique. M. Béassemnda Julien, président de l'ATNV est traqué et menacé. Les syndicats et les Associations des Droits de l'Homme sont régulièrement suspendus et leurs sièges occupés par des militaires de la garde républicaine etc.

Des hommes et des femmes de presse ne sont pas épargnés. Beaucoup d'entre eux sont assassinés (feux Duclos, Kodingar, etc.). D'autres emprisonnés, torturés ou battus à l'exemple de Mme Sy Koumbo Singa Gali, directrice de publication du journal « L'Observateur », et son journaliste, M Togomissi Polycarpe, tous deux impliqués dans la même affaire qui m'a conduit en prison, sont détenus pendant dix jours avant d'être condamnés à un an de prison avec sursis et cinq cent mille (500.000) F CFA chacun. M. Néhémie Bénoudjita, Directeur de Publication du journal « Le Temps », a été plusieurs fois menacé de mort et traduit, en diffamation, devant les tribunaux par le gouvernement. MM. Oulatar Bégoto et Dieudonné Djonabaye respectivement directeur et rédacteur en chef du journal, N'Djaména-Hebdo, sont condamnés à un an de prison avec sursis. En outre, ils sont, plusieurs fois, passés à tabac par la police politique - ANS - et le siège de leur journal et les matériels informatiques de travail saccagés. Des responsables du journal, Le Contact, emprisonnés etc.

Même les leaders politiques de haut rang sont la proie de ce terrorisme d'Etat. Comme ce fut le cas du député Alpha Condé, chef de parti et candidat à l'élection présidentielle en Guinée, les chefs des partis politiques tchadiens alliés ou pas au parti au pouvoir ont également été jetés en prison. Il en est ainsi de MM. Saleh Kebzabo, opérateur économique, plusieurs fois Ministre du régime actuel et chef de parti politique, Kassiré Delwa Coumakoye, plusieurs fois Ministre, ancien Premier Ministre du régime actuel et chef de parti, Abdérahman KOULAMALLAH, plusieurs fois Ministre du présent régime et chef de parti, Yaya Batit Ali, chef de parti, Souleyman Abdallah, homme politique. Ce dernier a été innocemment arrêté à Moundou début novembre 1997 puis transféré à N'Djamaa. Il est libéré en août 1998 grâce aux pressions extérieures. Arrêté de nouveau en novembre 1998, il a eu la vie sauve grâce à la présence de Mme Emma Aouj à N'Djaména au moment des faits. C'est elle et Mme JAFFE de l'ONG, AVRE, qui l'ont escorté de N'Djaména à Paris etc.

Officiellement, plus de 40.000 personnes sont massacrées de 1982 à 1990 par l'armée sous le régime d'Hissein Habré. Ce chiffre est nettement en dessous de la réalité puisque la commission créée en 1991 par M. Idriss Déby a procédé à des enquêtes sélectives. Et pour cause ! Aucun groupe ethnique, aucune région, aucun groupe politique n'est épargné par cette folie meurtrière à cette époque-là, au moment même où cette commission mène ses investigations.

C'est pourquoi, je demande instamment à la présente session de la commission des Nations Unies pour les Droits de l'Homme d'ordonner une enquête indépendante pour déterminer l'ampleur de ce génocide au Tchad et des violations des Droits de l'Homme, de la liberté de la presse et d'expression, etc.

Les massacres massifs et collectifs tendant à l'extermination des groupes ethniques, religieux, régionaux pour la seule période de 1990 à 1998 se passent de commentaires. Qu'on en juge par ces cruautés de l'agence nationale de la sécurité (ANS) - police politique - et de la Garde Républicaine (GR) : des femmes enceintes, à l'exemple de feue Mannon à Kaga venant de Mballa pour Mbalkabra, situé à 30 km de Moundou, ont été éventrées et les bébés extraits de leur ventre avant d'être égorgés comme le mouton d'Abraham, des hommes émasculés comme vingt et deux cadres supérieurs à Sarh et à Moundou, mutilés dans la région du Logone et du Moyen-Chari; les populations civiles sans défense rassemblées par la garde présidentielle (GR) et par les agents de l'A.N.S avant d'être obligées de boire un acide pour économiser les munitions ; les militaires de l'Agence Nationale de Sécurité (ANS), police politique, et de GR remplissent les églises des croyants avant d'y mettre le feu ; les chefs traditionnels réunis par les autorités préfectorales avant d'être passés par les armes ; l'interdiction formelle est faite à la population d'inhumer les corps des victimes ; à Moundou, seconde ville du Tchad, les blessés sont extraits des hôpitaux et sommairement exécutés et leurs corps jetés aux cochons ; des médecins, des directeurs de sociétés sont arrêtés, ligotés, mis dans les sacs avant d'être jetés dans le fleuve Logone etc.

Si le génocide est défini comme étant l'extermination d'un groupe ethnique, religieux, régional et politique, c'est donc depuis le 12 février 1979 que le génocide est perpétré au Tchad (cf. par exemple au mémorandum du collectif des associations des Droits de l'Homme relatif à la période d'octobre 1997 en mars 1998 et deux rapports de la FORELLI pour la période de 1991 à 1995 en annexe 1). Ce tableau macabre, sombre et non exhaustif prouve à suffisance qu'en Afrique et singulièrement au Tchad, la culture démocratique et de tolérance fait cruellement défaut.

C'est pourquoi, l'accord que la Banque Mondiale s'apprête à donner en Juin ou Juillet prochain pour permettre l'exploitation des bassins pétroliers de Doba et du Lac-Tchad risque, comme chez le peuple OGONI au Nigeria, de sonner le glas d'une terrible catastrophe écologique et humaine et entraîner l'un des pires génocides du troisième millénaire. Il vaut mieux prévenir que guérir (cf. ma communication au colloque organisé par les Parlementaires Verts français en date du 24 Février 1999 en annexe 2)..

Permettez-moi, Madame la Présidente, de faire la constatation suivante : si l'OTAN intervenait en Afrique notamment au Tchad, en Somalie, au Rwanda, au Liberia, au Congo-Kinshasa, au Congo-Brazzaville, en Angola, au Burundi, en Sierra Leone etc., elle aurait, comme au KOSOVO en Europe, épargné également des vies humaines. Pourquoi deux poids et deux mesures ?

De ce qui précède, je demande à la présente session :

  • la nomination d'un rapporteur spécial pour un état des lieux au Tchad (crimes ethniques, politiques, religieux et régionaux) ;
  • le renforcement de la capacité des réseaux d'échanges et des mécanismes d'informations des ONG africaines des droits de l'Homme ;
  • la nomination systématique d'experts indépendants dans les pays africains où sont systématiquement perpétrées les violations des Droits de l'Homme ;
  • la mise en application effective de la déclaration 15/144 du 9 décembre 1998 sur le Droit et la responsabilité des individus, groupes et organes de la société de promouvoir et de protéger les Droits de l'Homme et les libertés fondamentales universellement reconnus ;
  • l'assimilation des violations des droits de l'Homme aux crimes contre l'humanité ;
  • la poursuite des dictateurs (Hissein Habré et Idriss Déby), aux mains pleines de sang, devant des tribunaux internationaux et à défaut devant les tribunaux nationaux à compétence universelle à l'exemple de celui de Belgique pour génocides, crimes contre l'humanité, crimes de guerre et actes de barbaries.

Victor Hugo ne disait-il pas, Madame la Présidente, Mesdames, Mesdemoiselles et Messieurs les Participants, qu'" assister silencieux au mal, c'est assister le mal".

Je vous remercie de votre bienveillante attention.

 

PS : Ce discours qui avait arraché des salves d'applaudissements nourris des participants a provoqué la poursuite judiciaire d'Hissein Habré, ses coauteurs et complices et inspiré à son auteur deux livres à savoir : Tchad, le procès d'Idriss Déby (témoignage à charge), Editions L'Harmattan, 2003, téléchargeable gratuitement sur le site www.yorongar.com et Tchad, démocratie, crimes, tortures, massacres et mensonges d'Etat, Editions L'Harmattan, 2010 téléchargeable également gratuitement sur le site Google

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