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Makaila, plume combattante et indépendante

Makaila.fr est un site d’informations indépendant et d’actualités sur le Tchad, l’Afrique et le Monde. Il traite des sujets variés entre autres: la politique, les droits humains, les libertés, le social, l’économique,la culture etc.

Réflexion de M.Ali Mohamed sur les élections truquées au Tchad

Réflexion de M.Ali Mohamed sur les élections truquées au Tchad

ELECTION TRUQUEE, JOUEE D’AVANCE, OU RIPOSTE COLLECTIVE DU MONDE DU TRAVAIL ET MOBILISATION POPULAIRE POUR IMPOSER DES AVANCEES REELLES, TANT POLITIQUES QUE SOCIALES?

 

 

Ainsi, à l’instar d’autres pays africains, le Tchad organisera également son élection présidentielle cette année : officiellement, elle aura lieu le 10 avril prochain. Aussi, depuis le dimanche 20 mars dernier, tous les états-majors sont- ils en branle : les 14 candidats désignés par leurs partis et habilités à participer à cette élection sont entrés en campagne, jouant leur partition de charlatans, de vendeurs de rêves et d’illusions, nous abreuvant et gavant de promesses d’autant plus faciles à faire qu’elles ne seront jamais tenues et, même si elles le sont, ne changeront rien aux conditions de vie des masses populaires.

 

Cependant, on peut, sans risque de se tromper, dire d’ores et déjà que cette élection est déjà jouée d’avance, que son organisation n’est que de forme et que, quel qu’en soit le futur déroulement, rien n’empêchera Idriss Déby Itno de s’en proclamer le vainqueur. Car, c’est depuis fort longtemps que celui-ci s’est préparé à rester au pouvoir, de toutes les façons, quelles que soient, par ailleurs, les conditions de cette élection. Ô bien sûr !, il n’a pas eu l’outrecuidance ni le courage de se fendre d’un péremptoire et prémonitoire « J’y suis. J’y reste ! », comme l’ont fait certains dictateurs africains sous d’autres cieux ! Mais, à ses yeux, cette élection n’est qu’un événement, somme toute, juste bon pour divertir ceux des naïfs qui voudraient croire en sa bonne foi. Tout au plus, elle ne servira que de prétexte juridique, d’un moyen apparemment légal, qui lui offrira la caution constitutionnelle dont il a besoin pour sauvegarder les apparences et réaliser sa forfaiture : rester au pouvoir, d’une façon ou d’une autre, comme il y a cinq ans, quand, toute honte bue, il n’a pas hésité à se proclamer président de la république à la suite d’une mascarade électorale qui l’avait vu affronter un de ses sous-fifres, ancien ministre de son gouvernement, Pahimi Padacké Albert, son actuel premier serviteur, qu’il vient de nommer à la veille des joutes électorales actuelles!

 

En effet, c’est depuis l’année passée, lors d’une interview accordée à la presse locale, qu’Idriss Déby Itno a lui-même annoncé les couleurs : il a affiché, sans ambages, sa volonté de rester au pouvoir, à la suite de cette élection, en prétendant qu’il voudrait achever l’œuvre qu’il avait commencée il y a bientôt vingt-six ans. Mais plus que cette déclaration un tantinet évasive, l’élément essentiel qui exprime sa volonté de rempiler pour un autre mandat et montre également que cette élection n’a aucun véritable enjeu, à ses yeux, c’est surtout sa décision de se faire élire président de l’Union Africaine par ses pairs: à lui seul, en effet, cet acte montre le peu d’importance qu’Idriss Déby Itno accorde au suffrage des Tchadiens, car, ces derniers n’ayant pas encore choisi leur président parce que l’élection prévue pour cela n’ayant pas encore eu lieu, comment pourrait-il, lui, anticiper et savoir qu’il serait encore à la tête du pays après celle-ci , pour se permettre de briguer le poste du président de l’UA? Plus que toute autre considération, c’est donc cette décision qui est la preuve du fait que, de toutes les façons, il a depuis longtemps fait le choix de rester au pouvoir, quels que soient les résultats auxquels cette élection pourrait aboutir, dont manifestement il se moque éperdument !

 

Derrière ce comportement, qui foule au pied le choix des populations tchadiennes et montre le mépris combien profond d’Idriss Déby Itno pour celles-ci et pour les institutions dont il prétend être le garant, certains pointent du doigt la soif du pouvoir qui animerait ce dernier. D’autres, par contre, y voient le caractère dictatorial de l’individu lui-même et, par conséquent, de son régime. Sans doute peut-on dire qu’il y a certainement de tout cela dans la volonté affirmée de l’ancien chef d’état major d’Hissein Habré de s’accrocher à son siège. Mais si on réduit ce comportement uniquement à des considérations personnelles, même justes, on ne verra qu’un aspect des choses, et pas forcément le plus important ! Car, dans le désir du président actuel de rester au pouvoir, de toutes les manières, il y a surtout des raisons politiques et sociales, profondes, qui dépassent de loin le cadre sa propre personne et tirent leur origine de la situation générale du pays, qui place celui-ci sous la férule de l’impérialisme international, français notamment, dont le Tchad est devenu la chasse gardée depuis des décennies remontant jusqu’à la période coloniale.

 

En effet, comme ses prédécesseurs, les Tombalbaye, Malloum, Lol, Goukouni, Habré, le président actuel, lui aussi porté et maintenu au pouvoir par l’impérialisme français, n’est, en réalité, qu’un valet, un petit commis, au service d’une vaste entreprise d’exploitation, qui a commencé, hier, par la monoculture imposée du coton et continue, aujourd’hui, par l’exploitation du pétrole et d’autres ressources, tant humaines que naturelles, au profit essentiellement des trusts et autres multinationales, français, américains, chinois, canadiens etc, qui ont la mainmise sur l’économie du pays. Aussi, quand Idriss Déby Itno parle de vouloir poursuivre l’oeuvre qu’il a commencée, en clair, cela veut-il surtout dire qu’il tient à continuer à offrir ses services, à veiller sur cette entreprise d’exploitation-là, en en assurant l’ordre dont a besoin la bourgeoisie internationale pour piller le pays et ses masses populaires. Voilà ce pourquoi Idriss Déby Itno se doit de rester, car telle est la responsabilité à lui confiée par l’impérialisme français, à qui il doit son maintien à la tête du pays.

 

Un autre élément clé qui fonde aussi la volonté d’Idriss Déby Itno de se maintenir au pouvoir est le contexte politique africain actuel, marqué par la décomposition dont un bon nombre d’Etats sont victimes, notamment ceux de la sous-région, essentiellement à cause de la crise du capitalisme mondial et des politiques économiques et sociales appliquées par nos dirigeants. Cette décomposition, née des frustrations, des injustices, des inégalités, qui poussent sur le terreau de la misère qu’imposent nos Etats aux couches populaires, se manifeste sous la forme d’une violence multiple, à plusieurs visages, allant des affrontements ethniques, - comme en RCA, au Soudan du Sud-, à de véritables explosions sociales, - comme en Tunisie, en Egypte, au Burkina Faso- en passant par des actes barbares perpétrés par des monstres produits par le fonctionnement normal du capitalisme en Afrique, tels les assassins de Boko Haram au Nigéria, ceux d’Aqmi, dans le Nord du Mali ou de DAESH en Libye. Ce contexte de décomposition générale a été, il y a un peu plus d’un an, à l’origine de l’opération Barkhane, échafaudée par l’impérialisme français, avec le soutien des Américains, en vue de faire face à toute tentative de remise en cause violente des Etats du Sahel et au-delà, qui pourrait constituer un risque pour les intérêts des trusts français et autres, Areva, Shell, Bouygues, Boloré, Elf-Total, Exxon, par exemple.

 

Or, dans cette construction militaire, conçue essentiellement pour protéger nos dictatures afin qu’elles continuent à jouer leur rôle de valets des puissances impérialistes, le Tchad, pays qui, depuis la période coloniale jusqu’à nos jours, abrite une base militaire française et joue un rôle dans le redéploiement militaire stratégique de l’impérialisme français sur le continent, est l’un des rouages importants : ayant réussi à s’équiper militairement pour défendre son pouvoir, grâce aux retombées du pétrole et ce, au détriment des besoins essentiels des masses populaires, Idriss Déby Itno tient, dans cette opération, le rôle d’un petit gendarme régional chargé du maintien de l’ordre, qu’il joue et accomplit avec la peau des jeunes Tchadiens enrôlés dans l’armée. Par conséquent, pour contrer la menace des illuminés de Boko Haram et autres, ces barbares nés de la barbarie générale du capitalisme qui étrangle nos sociétés, impose à nos masses opprimées la misère, les maladies, les injustices et les oppressions de toutes sortes, dont celle de la femme notamment, l’impérialisme français fermera donc les yeux sur les turpitudes de son valet local et celui-ci aura les coudées franches et toute la latitude de rester au pouvoir avec sa bénédiction pour continuer ce qu’il appelle son œuvre.

Il y a également des facteurs d’ordre local qui, au bout de cette élection, inciteront Idriss Déby Itno à s’en proclamer vainqueur, sans scrupules ! En effet, depuis vingt-six ans bientôt qu’il est au pouvoir, celui-ci représente les intérêts d’une multitude de gens, qui se sont alliés à lui, dont les aspirations, les ambitions, les projets de vie s’incarnent en lui. On les trouve dans tous les secteurs essentiels du pays : dans l’économie, les affaires, les banques, les assurances, les unités industrielles, le gouvernement, à l’assemblée nationale, dans les différentes institutions étatiques, dans l’administration, dans son parti, etc. C’est le cas, par exemple, des différents dignitaires, des ministres aux maires en passant par la hiérarchie militaire, les gouverneurs, les préfets, les sous-préfets, les conseillers, les directeurs généraux, mais aussi les chefs traditionnels et religieux, ces représentants du fatras réactionnaire local, sur lesquels s’appuient toutes les dictatures pour obscurcir la conscience des masses opprimées par des prêches, des prières et autres balivernes au nom de la paix ; c’est aussi celui des principaux dignitaires du MPS qui, ainsi que le président lui-même, ont été, pour les principaux notamment, formés au sein de la dictature d’Hissein Habré, comme l’illustre le parcours singulier de Mamat Zène Bada, le nouveau sectaire général du parti au pouvoir, dont les dernières vociférations, contre les opposants et les manifestants descendus dans la rue pour exprimer leur indignation suite au viol de la jeune Zouhoura, avaient à la fois pour but de montrer à son mentor actuel que celui-ci avait eu raison de le propulser à la tête de son organisation après l’avoir aidé à se recycler au sein de celle-ci, mais aussi de tenter d’étouffer le tintamarre si bruyant des casseroles judiciaires qu’il traîne derrière lui et l’odeur nauséabonde de son passé de rejeton de l’UNIR qui, comme tant d’autres, essaye désespérément, à coup de déclarations intempestives et de postures ridicules, de se forger une nouvelle image de « démocrate », à moindre fais ; on peut également citer le cas des opérateurs économiques du MPS, notamment leur frange de milliardaires et autres multimillionnaires, qui, comme les responsables du groupe ALMANA, se sont enrichis sous l’ombre d’Idriss Déby Itno, souvent en peu de temps, grâce aux miettes qui tombent de la table à manger des trusts pétroliers notamment et à la surfacturation des marchés publics.

 

C’est donc pour tous ces gens-là aussi, ses proches comparses, qui s’empiffrent, se gavent, vautrent dans un luxe insolent, alors que les conditions de vie de la majorité opprimée du pays se dégradent continuellement, qu’Idriss Déby Itno va se maintenir au pouvoir, même si, par ailleurs, le scandale du vol, du pillage des deniers publics par les siens et son entourage est tel que, l’année passée, il a lui-même avoué qu’il n’est « entouré que des voleurs ».

 

Enfin, dernière raison, mais la plus importante de toutes, celle qui permet à Idriss Déby Itno de disposer d’un avantage considérable que n’a aucun de ses rivaux et de réaliser son dessein de rester au pouvoir à l’issue de cette élection: l’Etat !

 

Mieux que quiconque, l’ancien chef d’état major d’Hissein Habré, arrivé au pouvoir grâce à un coup de force militaire, sait que ce ne sont pas les idées et les intentions vaguement généreuses sur la démocratie, la justice, l’égalité, dont sont friands les dirigeants de l’opposition, qui font marcher les choses. Formé à l’école de la dictature d’Hissein Habré, pour lui, à juste titre, ce qui compte et qui décide de la marche des événements, c’est le rapport des forces qui, pour l’instant, est en sa faveur. Il est conscient du fait que s’il est à la tête du pays, ce n’est pas parce qu’il aurait les meilleures idées, le meilleur projet politique et social ni l’adhésion massive des masses populaires, mais tout simplement parce qu’il dispose d’un état-major politique et militaire, symbolisé par l’armée, la police, la gendarmerie, - dont toute l’architecture, de la hiérarchie de commandement aux échelons inférieurs en passant par les structures intermédiaires, est conçue exclusivement pour la défense de son pouvoir -, le gouvernement, l’administration, la justice, les institutions publiques diverses, qui sont tous à sa solde, en plus du soutien indéfectible de l’impérialisme français. C’est de cela qu’il tire son pouvoir et sa logique dictatoriale! C’est cela qui lui permet d’imposer aussi bien ses choix, sa manière de faire que les hommes dont il a besoin pour diriger et non autre chose. Par conséquent, comme par le passé, il ne manquera pas de s’appuyer sur ce rapport des forces en sa faveur pour, d’une part, s’offrir une élection à la mesure de son ambition en utilisant les moyens de l’Etat afin de faire sa campagne, acheter des consciences, bourrer les urnes, et, d’autre part, au final, utiliser les institutions prévues à cet effet pour se proclamer vainqueur des joutes électorales actuelles en cours.

 

Voilà donc toutes les raisons essentielles qui scellent le sort de cette élection, dont l’issue ne souffre de l’ombre d’aucun doute !

 

Lors de son investiture par son parti pour qu’il prenne part aux joutes électorales, en plus du thème éculé des réalisations qu’il aurait faites, afin de faire du neuf, Idriss Déby Itno s’est engagé sur deux points nouveaux, à savoir la question de la réintroduction de la limitation du mandat présidentiel dans la constitution et celle du fédéralisme. De façon démagogique, ses partisans présentent cela comme quelque chose d’extraordinaire, qui conférerait à leur champion le caractère d’un visionnaire. Or, en vérité, il n’en est rien, car, non seulement que, d’une part, ces deux engagements sont à mille lieues des préoccupations essentielles des couches populaires, en butte à des problèmes d’existence, - pauvreté, cherté de vie, maladies, chômage, bas salaires, exploitation -, mais que, d’autre part, même si on les réalisait, il n’est pas vrai que cela rendrait la situation politique du pays plus démocratique ou que cela rapprocherait les masses opprimées des sphères politiques où se prennent les décisions les concernant, qui conditionnent leurs vies. Toute cette opération a plutôt les allures d’une esbroufe, d’une habile supercherie, dont Idriss Déby Itno et ses partisans veulent se servir pour se tailler une image plus belle que nature !

 

En effet, l’objectif recherché à travers la réintroduction de la limitation du mandat présidentiel est fort simple : ce faisant, dans le contexte politique de l’Afrique centrale où l’on voit des dictateurs torpiller les constitutions pour rester au pouvoir, Idriss Déby Itno vise à se poser comme un contre exemple, comme un dirigeant politique différent de ses homologues du Burundi ou du Congo Brazzaville, par exemple ! Mais seulement voilà ! Il oublie, au passage, qu’il y a des années qu’il s’est lui-même exercé à ce genre de forfaiture : en 2005, après ses deux premiers mandats, il a, lui aussi, changé la constitution, fait sauter le verrou de la limitation du mandat présidentiel pour s’ouvrir la porte d’un règne qui, aujourd’hui, semble à vie. Alors, qu’il réintroduise de nouveau cette disposition, cela n’a aucune espèce d’importance ! Il a déjà démontré de mille façons qu’il n’est pas différents des autres satrapes africains qui, quand ils en ont besoin, piétinent les lois, les constitutions, démontrant ainsi que ces choses-là ne sont finalement que de simples papiers sans valeur à leurs yeux. Par conséquent, toute cette contorsion ne pourra pas empêcher que, le jour où il faudra faire le bilan de son long règne, la postérité retienne qu’il aura été, lui aussi, l’un des tout premiers torpilleurs des constitutions et lui réserve, dans la poubelle de l’histoire, une place de choix, à côté d’affreux dictateurs du continent, avec son nom écrit en gros caractères et les pestilences en plus !

 

Le ralliement d’Idriss Déby Itno à l’idée du fédéralisme, chère à Yorongar Ngarlédji, montre, quant à lui, que, malgré les apparences, les deux hommes partagent bien de points communs, comme l’illustre d’ailleurs leur passé sous la dictature d’Hissein Habré, lorsque, sous-fifres de celui-ci, ils étaient chargés des questions de sécurité au sein de l’UNIR. Mais, en s’emparant de cette perspective pour en faire sienne, le président actuel, comme Yorongar du reste, fait également preuve, à la fois, d’une grosse démagogie et d’une crasse méconnaissance de la manière dont fonctionne l’Etat dans le cadre de la domination du capitalisme mondial, que cela soit en Afrique ou ailleurs.

 

En effet, dans le contexte actuel, sous le règne de la bourgeoisie, lorsqu’on veut apprécier la situation politique d’un pays, les rapports entre les populations de celui-ci et les institutions en vigueur, ce qui compte, ce n’est pas tant la forme de l’Etat en vigueur que les intérêts de classe que celui-ci défend. De nos jours, l’Etat bourgeois peut prendre plusieurs formes : il peut être unitaire, comme en France, au Tchad, fédéral, comme aux Etats-Unis, au Nigéria, ou à caractère féodal, comme en Arabie saoudite ou au Zwaziland. Mais, quelle que soit la forme qu’il prend, il défend partout les intérêts de la bourgeoisie, de cette minorité de riches, tant nationale que mondiale. Et c’est cela qui fait que, partout également, y compris dans les pays riches, ce pouvoir-là est une dictature pour les masses populaires, pour les pauvres en général, car ni la voix ni les intérêts de ceux-ci ne sont pris en compte dans les sphères où se décident les choix essentiels qui conditionnent la vie de la cité.

 

Alors, si, demain, Idriss Déby Itno imposait le fédéralisme, satisfaisant ainsi au passage le vieux rêve de Yorongar et des réactionnaires, de tous les bords, qui cherchent à opposer les masses populaires sur des bases ethniques, régionales et autres, qu’est-ce que cela changerait pour la majorité opprimée du pays ? Eh bien, rien ! Absolument rien ! Pour les pauvres, ce serait toujours la même chose, la misère, les maladies, les injustices de tout genre, les oppressions, et, au bout, la dictature, exactement comme aujourd’hui ! Pour s’en convaincre, il suffirait de voir ce qui se passe au Nigéria, première puissance économique africaine, mais aussi berceau des coups d’Etat militaires permanents, où le fédéralisme ne protège pas les couches populaires des dictatures, où, sur le terreau de la misère, des privations, des frustrations, dont sont victimes les opprimés, la politique de la bourgeoisie, tant à l’échelle régionale que nationale, ne produit que des violences de tout genre, comme l’illustrent les barbares de Boko Haram, sans parler de la guerre du Biafra qui a fait, au bas mot, un million de morts au moins !

 

Sans aucun doute donc, Idriss Déby Itno se proclamera vainqueur à l’issue de l’élection en cours. Il y a même de fortes chances qu’il le fasse dès le premier tour, tout simplement parce que, avec le soutien de ses comparses et la bénédiction de l’impérialisme français, il en aura décidé ainsi. Mais, son élection ne changera rien dans les conditions de vie des couches populaires: pour celles-ci, ce sera toujours l’exploitation, la pauvreté, la cherté de la vie, les bas salaires, le chômage, les privations des droits élémentaires, les arrestations arbitraires, comme on le voit avec l’incarcération des dirigeants syndicalistes et des organisations de la société civile dont le seul tort est d’avoir voulu faire une marche, une chose tolérée par la loi, qui fait partie des mœurs naturellement vécues sous d’autres cieux, mais qui, au Tchad d’Idriss Déby Itno, pose problème

 

Par ailleurs, dans cette élection, les masses populaires n’auraient pas intérêt à se faire des illusions non plus sur les partis de l’opposition et ce que ces derniers pourraient faire pour elles. Car, si par miracle, - et c’en serait vraiment un si cela se produisait -, un des pontes de l’opposition arrivait au pouvoir, cela n’entrainerait pas non plus des changements notables pour les couches opprimées parce que les Saleh Kebzabo, Gali Ngoté, Yorongar Ngarlédji, Salibou Garba, Mamat Ahmat Alhabo, Fidel Moungar et Idriss Déby Itno, ses comparses, sa mouvance, appartiennent tous, en réalité, au même monde : bien de choses les lient les uns aux autres, ils ont travaillé ensemble, sous la dictature d’Hissein Habré ou celle qui dirige aujourd'hui. Rigoureusement, ils défendent tous les mêmes intérêts, ceux des riches, des bourgeois et privilégiés tchadiens et, au-dessus de ces derniers, ceux de l’impérialisme français, de ses trust et autres. Que donc certains soient à ta tête de la dictature et que d’autres dirigent une opposition parlementaire ou même armée contre celle-ci, cela ne doit pas faire illusion, car, ni politiquement ni socialement, ils ne sont différents les uns des autres.

 

Au-delà des apparences, bien des faits montrent, en effet, que les dirigeants de l’opposition qu’Idriss Déby tolère ne combattent pas du tout la politique de celui-ci. Comme lui, ils sont tous des serviteurs du capitalisme ! Comme lui, nombreux sont ceux d’entre eux qui se réclament de la social-démocratie, cette nébuleuse, qui n’est en réalité qu’une autre forme de politique bourgeoise, plus trompeuse, plus hypocrite, dont se revendiquent aussi bien Ben Ali, Blaise Compaoré, ces dictateurs chassés du pouvoir par la colère populaire, que François Hollande, en France, considéré par les couches populaires de ce pays, à juste titre, comme un politicien qui a trahi leur confiance! Comme lui, ils aspirent aussi à diriger en s’appuyant sur le même Etat, la même armée, la même police, la même administration, la même justice, les mêmes institutions, mais aussi les mêmes chefs traditionnels et religieux, qui, tous, constituent l’ossature de la dictature actuelle ! L’ordre constitutionnel actuel est aussi le leur : c’est leur œuvre commune avec les tenants du pouvoir, qu’ils ont construite en 1993, lors de la conférence nationale, ce rendez-vous au sommet de la classe dirigeante de l’époque, des chefs de guerre, des aventuriers et autres charlatans politiques, dont bien de chefs que l’opposition actuelle, qui y ont pris part, participé à tous les débats, confectionné une constitution satisfaisant les ambitions des uns et des autres, avant d’offrir à Idriss Déby Itno la caution démocratique dont il avait besoin, l’adoubant, lui donnant ainsi les moyens de jeter les bases de sa dictature actuelle. Comme les responsables du MPS, l’ordre social en vigueur est également le leur : députés, maires conseillers, membres de diverses structures étatiques, ils y sont grassement intégrés, ils en sont aussi les profiteurs ! Lors de son dernier passage à la télévision pour justifier son ralliement au candidat Idriss Déby Itno, Béral Mbaïkoubou, député de son état, présenté naguère comme un opposant radical au pouvoir actuel, n’a pas manqué d’avouer que son salaire annuel est de 20 millions de francs cfa , c’est-à-dire qu’il gagne en une année ce que touche, au bout de vingt-huit ans de travail, un ouvrier ou un agent de l’Etat condamné à faire vivre sa famille avec un salaire de 60 000 francs cfa. On comprend alors très bien pourquoi, dans nos quartiers populaires, comme à Moursal, ces gens-là vivent dans des bâtisses qui n’ont rien à voir avec celles de leur entourage et mènent un train de vie de nababs, qui n’a rien à envier à celui les notables et autres parasites, dignitaires du MPS !

 

Aussi est-ce pour toutes ces raisons que ce que les politiciens de l’opposition combattent généralement chez Idriss Déby Itno et ses comparses au pouvoir, ce n’est pas leur politique, les problèmes de fond, - l’exploitation, la misère, les maladies, les privations de toutes sortes dont sont victimes les masses opprimées, bref, l’accumulation des richesses d’un côté et la paupérisation, de l’autre, découlant du fonctionnement normal du capitalisme dans le pays-, mais ce qu’ils appellent trivialement leur « mauvaise gestion », clanique et féodale, comme si on pouvait faire autrement, améliorer le capitalisme, l’humaniser, le gérer mieux, au lieu de le détruire!. Voilà pourquoi on ne les voit pas quand les travailleurs sont en grève, quand ils luttent contre les bas salaires, la vie chère que leur impose la politique du gouvernement, sous prétexte, selon eux, qu’on ne devrait pas mélanger les questions syndicales et politiques, exactement comme vient de le dire Pahimi Padacké Albert, le premier ministre, face aux luttes déclenchées par les travailleurs. Mais qu’y a-t-il de plus politique que les questions de salaires, de chômage ou de la cherté de vie ? S’ils agissent ainsi, c’est parce qu’ils ont, eux aussi, peur des opprimés, de la volonté populaire. Ils ne voudraient surtout pas se faire remarquer, aux yeux des riches nationaux, des notables locaux et surtout de la France , comme des gens contre l’ordre social en vigueur, qui est aussi le leur. En refusant de s’associer aux luttes des travailleurs, ils montrent à tous ceux qui tiennent à l’ordre social en place qu’ils sont respectueux de celui-ci, autant que les tenants de la dictature. C’est pourquoi ils n’apparaissent que lors des élections, comme de nos jours ! Les seuls problèmes qui les préoccupent vraiment sont surtout ceux liés à celles-ci, aux conditions de leur déroulement: l’organisation du passage des uns et des autres à la radio ou à la télévision, la formation d’une commission nationale indépendante, etc, bref des choses fort lointaines des préoccupations des masses populaires se demandant quotidiennement comment faire pour apporter de quoi manger à la maison ou soigner les enfants. Ce n’est que pendant ces périodes-là qu’ils s’intéressent aux masses opprimées, pour les gaver de promesses et d’illusions, pour se servir d’elles comme fores de manœuvres électorales, parce que, au bout, il y a leurs intérêts et situation de notables, de députés, de maires, de conseillers etc, grassement payés, à défendre.

 

C’est pour tout cela qu’il y a lieu de parier que, si, demain, Idriss Déby Itno se proclame vainqueur de cette élection et, de façon magnanime, propose de former un gouvernement d’ouverture, au nom, pour la circonstance, du fameux intérêt général de la nation, nul doute qu’il y aura, parmi eux, des candidats à quelques strapontins ministériels autour de la mangeoire gouvernementale, suivant ainsi les traces d’autres politiciens prétendant naguère combattre la dictature, tels les Abderamane Djasnabaye, les Hamid Dahalop, qui, tout en étant des chefs de parti, ne rechignent pas à se ravaler au rang de vulgaires scribes dans le salon douillé de la primature.

 

Les joutes électorales actuelles entre Idriss Déby et son opposition parlementaire ne concernent donc en rien les masses opprimées ! C’est un combat, sur le terrain électoral, entre les enfants d’une même famille, celle des politiciens bourgeois du pays, qui se disputent le pouvoir. Par conséquent, quelle qu’en soit l’issue, pour les travailleurs et l’ensemble des opprimés, rien de fondamental ne changera. Il n’y aura ni amélioration de leurs conditions de vie, ni plus de liberté qu’avant : ce sera toujours la même exploitation, la même misère, les mêmes maladies, les mêmes injustices, les mêmes abus et exactions, la même dictature !

 

Dans la société actuelle divisée en classes sociales, la ligne de démarcation n’est pas entre, d’un côté, des démocrates, et, de l’autre, des tenants de la dictature. Elle est plutôt entre riches et pauvres, oppresseurs et opprimés, bourgeois et prolétaires. Or, les riches qui nous dirigent et l’impérialisme français qui les soutient ne se feront jamais hara- kiri pour que les opprimés s’émancipent de leur domination et accèdent à des conditions de vie meilleures. La bourgeoisie n’a pas, en effet, de tendance suicidaire !

 

Voilà pourquoi, pour sortir de cette impasse, la seule perspective, c’est celle des luttes politiques et sociales des opprimés eux-mêmes, d’une riposte collective du monde du travail et d’une mobilisation générale des masses populaires. Oui, seul un mouvement d’ensemble de la classe ouvrière et des autres catégories sociales souffrant des conséquences de la crise économique pourrait, au moyen d’une mobilisation populaire, créer un nouveau rapport des forces capable de faire reculer la dictature et l’obliger à respecter les aspirations politiques et sociales des couches laborieuses.

 

En effet, si les masses opprimées veulent accéder aux libertés essentielles et à l’amélioration de leurs conditions de vie, par le biais d’une répartition juste des richesses, fruit de leur travail et de leur sueur, elles ne pourraient pas faire l’économie des luttes populaires, politiques et sociales, nécessaires et indispensables, que leur impose le capitalisme à travers le pouvoir dictatorial qui règne à N’Djaména. Les libertés démocratiques, l’amélioration des conditions de vie et le droit à une existence digne de notre époque ne sauraient être discutés, ni négociés, ni marchandés avec les tenants du pouvoir actuel, moins encore obtenus par un bout de papier dans une urne : ils ne pourraient qu’être le fruit des luttes, politiques et sociales, des masses laborieuses elles-mêmes. Pour qu’ils existent, de façon durable, qu’ils soient respectés et vécus comme des mœurs normales, ils devraient être arrachés et imposés par celles-ci, en dehors de la légalité constitutionnelle actuelle, dans la rue. Il ne pourrait en être autrement ! N’en déplaise à Mamat Zène Bada ou au député Béral Mbaïkoubou, qui a vite fait de changer de veste pour quelques promesses électorales !

 

Le viol de la jeune Zouhoura par des enfants pourris des dignitaires du régime a déclenché dans tout le pays une vague d’indignation, qui s’est transformée en une exaspération, expression d’un profond ras le bol populaire, d’un rejet de la politique du pouvoir, de ses injustices, ses inégalités, en plus du mépris de ses responsables. De façon spontanée, cette contestation a très vite pris une forme organisée : des structures syndicales et de la société civile se sont coalisées, ont formé un collectif, une sorte de coordination des luttes, dénommée « Ca suffit », à l’origine de plusieurs initiatives : une marche, qui a été interdite, un mot d’ordre de « villes mortes », largement suivi, notamment dans la capitale, un autre de « Sifflet citoyen ». Cette forme d’organisation, inédite dans l’histoire du pays, a ébranlé le pouvoir à tel point qu’il a pris peur : cela se voit notamment à travers les appels aux charlatans que sont les religieux et certaines associations à sa solde pour organiser des prières et des réunions publiques au nom de la paix.

 

Aussi est-ce dans cette direction donc qu’il faut aller pour imposer au pouvoir les aspirations populaires. En se servant de ce qui s’est passé jusque-là comme un point d’ancrage, en s’appuyant dessus, la lutte doit continuer et s’amplifier pour se transformer en une mobilisation générale des travailleurs et des couches opprimées du pays. Les initiatives de marche, les mots d’ordre de « villes mortes », « sifflet citoyen », comme la grève générale qui vient d’être déclenchée à la suite des arrestations des responsables syndicaux et ceux des organisations des droits de l’homme doivent être considérés comme un tour de chauffe, des étapes, des jalons d’une stratégie globale à construire patiemment, méthodiquement, pour aller vers un mouvement de « tous ensemble » contre la dictature d’Idriss Déby Itno.

Cette perspective relève d’une nécessité incontournable, car Idriss Déby Itno, son gouvernement, ses comparses, le patronat qui les soutient, ne comprennent que le langage de la force. Ils ne changeront de politique et ne tiendront compte des revendications populaires que forcés et contraints. Mais, le rapport des forces entre eux, le monde du travail et l’ensemble des opprimés ne peut pas être changé par les formes de lutte utilisées traditionnellement jusqu’aujourd’hui : grève dans un secteur donné, isolée des autres ou négociations secteur par secteur, entreprise par entreprise. Pour changer la donne, il faudrait donc une mobilisation générale de toute la classe ouvrière, qui de par sa position de choix au cœur de l’économie, a la force de bloquer totalement celle-ci et de paralyser le pays. En s’appuyant sur ce qui a été déjà fait, sur le succès de tout ce qui s’est passé à la suite de l’acte abjecte dont la jeune Zouhoura avait été victime, pour faire plier la dictature et l’amener à satisfaire les revendications populaires, à respecter le droit à la vie des opprimés, c’est donc vers cette perspective-là qu’il faut aller, en amplifiant les luttes, en les unifiant, pour construire, méthodiquement, une mobilisation générale de tous les travailleurs du pays, du public et du privé, qui unirait dans le même combat les salariés de l’Education Nationale et ceux de la SONASUT , ceux de la Santé et ceux de la Coton Tchad , ceux de l’Energie et ceux du Transport, ceux des Banques et ceux du Bâtiment, ceux de la Poste et Télécommunication et ceux du Commerce, ceux du Pétrole et des Mines et ceux de l’Information et de l’Audiovisuel, ceux des Assurances et ceux de la Culture , mais aussi les actifs et les chômeurs, les précaires et les retraités, les licenciés, etc, dans une riposte collective contre la politique du pouvoir, car, quels que soient les secteurs d’activité, la catégorie et le statut des uns des autres, tous les travailleurs ont les mêmes intérêts et les mêmes ennemis, en l’occurrence, l’Etat, au-dessus duquel trône Idriss Déby Itno, et le patronat !

 

En l’absence d’un parti révolutionnaire prolétarien, il reviendrait aux syndicats de porter cette perspective-là, notamment à l’UST, le plus combatif et le plus important d’entre eux, en alliance, en solidarité, avec les autres centrales. Mais, dans ce combat, tout en généralisant et unifiant les luttes dirigées par eux-mêmes, les travailleurs auraient intérêt à s’ouvrir aussi à d’autres catégories de la population qui souffrent des mêmes problèmes qu’eux : aux organisations des droits de l’homme, bien sûr, mais aussi aux associations des femmes, des étudiants, des élèves, des jeunes, des consommateurs, des journalistes, aux associations culturelles, à celles des artisans, des artistes, des petits commerçants, des paysans pauvres et d’autres, qui constituent des millions d’opprimés étranglés, comme eux, par la même crise du capitalisme et la politique du gouvernement. Ils pourraient ainsi leur servir de boussole, les regrouper autour d’eux, les entraîner, leur offrir une politique et, de cette façon, par un mouvement « de tous ensemble », créer avec eux un nouveau rapport des forces capable de faire reculer la dictature et lui imposer les changements nécessaires, tant sur le plan social que politique. A part le MPS et ses alliés, évidemment, les organisations ou les militants politiques qui le désireraient pourraient aussi participer à cette mobilisation, à condition, toutefois, qu’ils se mettent au service des luttes et des revendications des masses laborieuses et non qu’ils en prennent la tête : c’est aux travailleurs et les autres couches opprimées de diriger eux-mêmes leurs combats, en choisissant et contrôlant leurs propres représentants. Ils ne doivent se mettre à la remorque de personne, en tout cas, pas derrière des politiciens bourgeois et opportunistes qui, à la moindre occasion, les trahiront !

 

De façon méthodique, toute cette mobilisation devrait s’organiser autour d’une plate-forme revendicative, une sorte de plan d’urgence, d’intérêt public. Chaque syndicat, chaque association, chaque organisation participant à la riposte collective proposerait ses propres revendications. Celles-ci devraient être regroupées et discutées par l’ensemble des parties prenantes dans le but de dresser une plate-forme de revendications, qui comprendraient les exigences essentielles des masses laborieuses face à la cherté de la vie, dont les plus importantes, pouvant fédérer tout le monde, seraient, par exemple : la diminution drastique des salaires des dirigeants, à commencer par celui d’Indriss Déby Itno, dont personne ne sait combien il gagne, mais aussi celui des ministres, des députés, des responsables de l’armée, des gouverneurs, des préfets et autres, sans oublier les hauts cadres des banques, des grosses entreprises, tant publiques que privées, une augmentation conséquente des salaires des travailleurs, tant du privé que du public, du SMIC, des allocations de chômage, des pensions de retraite, des bourses, l’interdiction des licenciements, dans le public comme dans le privé, l’embauche de tous les contractuels et des précaires, dans le public comme dans le privé, un emploi pour tous, une embauche massive donc dans les secteurs publics essentiels, l’Education, la Santé , notamment, mais aussi le Bâtiment, les Travaux Publics, en fonction des besoins des masses opprimées et de leurs enfants, un revenu minimum pour tous ceux qui ne bénéficient d’aucun emploi et d’aucune allocation, notamment les femmes et les mères isolées, un fonds de soutien aux personnes âgées ne bénéficiant d’aucune retraite, une baisse importante des prix des produits et des articles de première nécessité, de l’eau, de l’électricité, du pétrole, de l’essence, du gaz, une baisse importante des prix du transport, des impôts, des loyers, l’instauration de l’échelle mobile des salaires, - chaque fois les prix des produits nécessaires à la vie des masses opprimées augmentent, les salaires font de même, ils augmentent aussi, proportionnellement -, la gratuité effective de l’éducation et des soins dans le public, la construction de logements sociaux, la défense et la jouissance des droits démocratiques élémentaires, de réunion, d’expression, d’organisation, de manifestation, sans aucune menace ou entrave de la part du pouvoir, la rupture du cordon ombilical qui lie exclusivement la presse publique, la radio, la télévision notamment, au pouvoir du MPS, en vue de l’émancipation des journalistes du joug de celui-ci et de l’instauration d’une expression libre de toutes les sensibilités, etc…

 

Venue tardivement sur la scène de l’histoire, notre bourgeoisie ne peut jouer que le rôle de minable valet au service des multinationales des puissances impérialistes. Aussi a-t-elle failli, échoué dans tous les domaines. Pleutre, poltronne, elle est même incapable de réaliser ses propres tâches démocratiques, comme moderniser le pays en le débarrassant des structures féodales, des mœurs rétrogrades, telle l’oppression de la femme, - mise récemment en lumière de façon dramatique par ce qu’a vécu Zouhoura -, juste par peur de voir les masses populaires la déborder et aller plus loin dans la lutte contre les inégalités et les oppressions. Par conséquent, c’est aux travailleurs et autres opprimés en lutte qu’il appartient de se charger de ces tâches là et de les réaliser par leurs combats. Ainsi, ils devraient aussi exiger et se battre pour la fin de la chefferie traditionnelle, cette structure féodale, anachronique, sur laquelle s’appuient toutes les dictatures en vue de leur maintien, la rupture des relations entre les pouvoirs publics et les associations religieuses, l’interdiction des espaces publics, - salles de conférence, télévision, radio et autres-, aux chefs religieux de tous les cultes, le contrôle stricte de toutes les écoles religieuses, qui doivent être limitées, quelles qu’elles soient, une lutte hardie contre l’oppression de la femme comprenant l’interdiction de la polygamie, du mariage forcé, notamment sa forme barbare qui permet à un père de donner sa fille en aumône, tel un mouton, souvent à quelqu’un dont elle ne connaît rien, une révolution agraire profonde afin que les paysannes soient propriétaires des terres qu’elles travaillent, l’instauration d’un Code familial progressiste donnant aux femmes les mêmes droits que les hommes face à l’héritage, à la garde des enfants, au divorce, l’octroi d’une pension à la femme divorcée si c’est à elle qu’il revient de garder les enfants, l’interdiction de la coutume qui veut qu’une femme épouse, malgré elle, le frère de son mari défunt ou un membre de la famille de celui-ci, lui revenant ainsi tel n’importe quel objet dont il hérite, la parité totale dans toutes les institutions et secteurs publics, l’harmonisation des droits sur le lieu du travail : toute femme qui a le même diplôme ou remplit la même responsabilité qu’un homme doit avoir le même salaire que lui, l’abolition du port du voile dans les écoles, les lycées, les collèges, les universités, les lieux de travail, la mixité des femmes et des hommes, des filles et des garçons dans les lieux publics, la fermeture des centres de formation coraniques des femmes et leur transformation en centres de formation professionnelle destinés à fournir à celles-ci une spécialisation dans plusieurs domaines – couture, informatique, restauration, menuiserie, électricité, maçonnerie, conduite, et autres - afin qu’elles aient une qualification en vue d’un métier, la création par l’Etat des crèches, des garderies pour détacher les femmes du lourd fardeau attaché à la maternité, mais aussi des maquis géants, des restaurants publics, dans les centres administratifs, les zones industrielles et dans tous quartiers des grandes villes, avec un personnel qualifié, où toutes les femmes et tous les hommes qui travaillent, tant dans le public que dans le privé, peuvent venir se restaurer grâce à des tickets restaurant payés par leurs employeurs afin que les femmes s’émancipent des tâches ménagères, notamment du devoir de faire la cuisine, et consacrent leur temps à leur formation culturelle ou à leurs loisirs, une vaste campagne d’alphabétisation des adultes et des jeunes, déscolarisés, femmes et hommes, filles et garçons, afin de leur permettre d’être autonomes et capables de remplir les tâches administratives élémentaires, une vaste propagande contre toute forme d’obscurantisme, contre l’influence réactionnaire de toutes les religions, musulmane, chrétienne, animiste, qui obscurcissent la conscience des travailleurs, prêchent le culte du chef, l’accommodement, l’adaptation à l’ordre établi, avec ses inégalités, ses injustices, sous prétexte que ce serait le fait du destin, mais aussi contre l’ethnisme, le tribalisme, le régionalisme, la misogynie, la division en castes, toutes ces choses dont les politiciens bourgeois se servent pour opposer les opprimés les uns aux autres pour les diviser afin de mieux les dominer, pour les empêcher de prendre conscience du fait qu’ils constituent une classe à part, la classe ouvrière, qu’ils ont les mêmes intérêts, quelles que soient leur culture, leur religion, leur région ou leur nation, parce qu’ils subissent tous la même exploitation, les mêmes maladies, les mêmes injustices, les mêmes inégalités, la même dictature, imposés par le même Etat et le même patronat, au service des riches, etc…

 

La liste des revendications qu’on pourrait considérer comme prioritaires ne saurait, évidemment, être exhaustive. Afin qu’il soit le socle solide de la mobilisation générale des travailleurs et de l’ensemble des opprimés, le plan d’urgence d’intérêt public devrait être l’expression des attentes communes et essentielles de ces derniers. Il devrait en somme être le reflet de toutes les revendications vitales des masses opprimées, en passant en revue tous les problèmes fondamentaux que ces dernières rencontrent, sans oublier les autres aspects de la vie sociale et économique marquée par des injustices, des oppressions de tout genre, des abus, des arrestations arbitraires, des assassinats, le pillage des fonds publics, la corruption, des humiliations de toutes sortes, des ignominies policières et administratives, qui sont devenus des mœurs courantes depuis bientôt vingt six ans que le pays se trouve placé sous la férule de la dictature du MPS.

 

Enfin, pour réaliser ce plan d’urgence, il serait vital que les travailleurs en aient les moyens pratiques. Pour ce faire, ils devraient supprimer l’interdiction du secret bancaire, tant des comptes publics que privés, afin qu’ils aient une idée exacte du patrimoine national, par exemple, qu’on sache notamment combien d’argent est entré dans les caisses de l’Etat depuis l’exploitation du pétrole. Comment en a-t-il été dépensé ? Combien en reste-t-il ? Qui a quoi ? On devrait faire la même chose pour les autres comptes des services de l’Etat, du Trésor public, des banques, des assurances, et des secteurs industriels importants. Les travailleurs auraient également intérêt à soumettre à leur contrôle et celui de population les grandes entreprises du pays afin de suivre de l’intérieur la façon dont elles fonctionnent. Ces deux opérations, qu’on pourrait facilement réaliser, comme un jeu d’enfant, grâce aux travailleurs qui contrôlent les circuits financiers, dans les banques, les assurances, les trésors publics, mais aussi à ceux des autres secteurs économiques importants, permettraient non seulement d’avoir une idée exacte de la situation économique du pays, les moyens nécessaires pour réaliser les aspirations populaires, mais aussi de défendre les intérêts des opprimés, de savoir comment les dirigeants dilapident les bien publics, de dire qui a détourné quoi, d’éviter le gaspillage, le pillage des deniers publics, le vol dont parle Indriss Déby Itno sans prendre les mesures nécessaires pour mette fin à cela ni d’en sanctionner les responsables. Seul ce type de mesures pourrait permettre de réaliser le plan d’urgence et d’empêcher la déchéance dans laquelle s’enfonce la société.

 

Quelle que soit l’issue de l’élection en cours, c’est de cette perspective-là qu’il conviendrait de discuter, dès maintenant, dans les usines, les entreprises, mais aussi les bureaux, les universités, les écoles, les lycées, les chantiers, les ateliers, les gares routières, les « tachas », les marchés, les quartiers, les villages, etc, dans le but clairement affiché de préparer, dans les jours et les mois à venir, une riposte collective du monde du travail et une mobilisation de l’ensemble des opprimés afin de défendre le droit à la vie des populations pauvres. Les discussions devraient s’accompagner de la tenue d’assemblées générales décidant des revendications des uns et des autres, mais aussi de la création de comités de liaisons entre travailleurs du public et du privé, entre une entreprise d’un secteur donné et une autre spécialisée dans une activité différente, entre organisations syndicales et celles des femmes, des jeunes, des chômeurs ou de défense des droits de l’homme, afin d’aboutir à une coordination tant locale que nationale des luttes.

 

L’avenir se situe donc en dehors de l’élection actuelle, quelle qu’en soit l’issue. Il est entre les mains des travailleurs et de l’ensemble des masses opprimées, dans leur mobilisation, leur organisation et leurs luttes ! Ce n’est pas la détermination des couches populaires d’en finir avec la misère ou de trouver une autre issue à leur situation en général qui fait défaut, comme le montrent les différentes luttes déclenchées à la suite du viol de Zouhoura ou celles d’avant. Ce qui manque, c’est la perspective qu’il faudrait pour que ces luttes soient efficaces et servent réellement à changer les conditions de vie de la majorité opprimée, c’est-à-dire un mouvement d’ensemble de tous les travailleurs, secteurs et catégories confondus, du public comme du privé, et de l’ensemble des opprimés, quelles que soient leurs ethnies, leurs régions, leurs religion, sous la forme d’une vaste mobilisation populaire, dirigée par eux-mêmes pour imposer les changements nécessaires.

Par conséquent, au lieu de se focaliser sur cette élection, de se faire des illusions sur ce qu’elle pourrait apporter aux masses opprimées, c’est à cette perspective-là que devraient s’atteler tous ceux qui, syndicalistes, militants des partis politiques, des associations de tout genre, femmes, hommes, vieux, jeunes, sont réellement révoltés tant par les conditions de vie des populations pauvres que par la dictature et aspirent à de véritables changements. Cela devrait se faire sous la forme d’une action consciente, d’une démarche délibérée, organisée, avec rigueur.

 

Pour que se réalisent les changements nécessaires dignes de leurs attentes et aspirations, il est vital que les masses opprimées interviennent, fassent irruption dans la scène politique, dans les lieux, les sphères où se prennent les décisions essentielles les concernant au premier chef, où se décident leur sort et leur vie, et ce, avec leurs propres armes et méthodes. Par ailleurs, si le combat actuel se développe, s’amplifie point de faire reculer la dictature et lui imposer les revendications populaires, immanquablement, en naîtront des possibilités supérieures. Alors tout sera-t-il possible : même la paralysie de tout le pays et le renversement de la dictature actuelle, car, l’armée d’Idriss Déby Itno, sa police, sa gendarmerie, même avec le soutien de l’impérialisme français, ne seront jamais suffisamment fortes pour endiguer une mise en branle de millions de travailleurs et d’opprimés, décidés à trouver une issue à leur situation au moyen d’une vaste et profonde mobilisation populaire s’exprimant aussi bien par des grèves dans les secteurs économiques vitaux que par des manifestations monstres dans la rue. La dictature, fondée sur la bande armée au pouvoir, ne pourra rien faire face l’ensemble des opprimés de la ville de N’Djaména, debout, entraînant derrière eux ceux de Moundou, de Sarh, de Bongor, d’Abéché, de Mao, de Faya, de Laï, de Fada etc, sous la forme d’une riposte collective de l’ensemble des masses populaires, de toutes les régions, de toutes les ethnies, de toutes les religions, unies autour de la nécessité de défendre consciemment leurs intérêts spécifiques contre la politique du pouvoir et d’imposer à ce dernier les changements auxquels elles aspirent.

 

Les partisans du changement en douceur, que ce soit par le biais des élections ou des discussions avec le pouvoir, vont certainement pousser des cris d’orfraies face à cette perspective-là. Certains prétendront que cela ne serait pas possible et, pour se donner bonne conscience, ils détourneront la tête pour ne pas voir la détermination des opprimés, leurs multiples combats contre la dictature ou accuseront les masses populaires d’avoir peur, d’être analphabètes ; certains argueront aussi qu’elles ne seraient pas suffisamment conscientes ; d’autres diront que, face à une dictature surarmée comme celle de Déby, ce serait utopique ! Mais, dans un pays où, des décennies durant, des milliers de gens, des travailleurs, des femmes, des jeunes, s’organisent dans des partis, des syndicats, diverses associations, ou, pour certains, vont même jusqu’à prendre des armes, pour chercher une solution aux problèmes auxquels ils sont confrontés, leurs propos ne serviront qu’à étaler au grand jour leur fatalisme et leur impuissance. Ils démontreront surtout que ceux qui, doutant de la force et des capacités des masses populaires, proposent de discuter avec la dictature ou prétendent que c’est par un bout de papier dans une urne que les opprimés pourraient changer le cours de leur histoire sont soit des incapables qui prennent leur propre faiblesse pour des réalités objectives, soit des démagogues, des charlatans, qui, craignant la volonté populaire, cherchent à fixer des limites à la révolte des pauvres bien longtemps avant qu’elle n’explose ! Car, ce que l’on sait, ce que l’histoire a permis de vérifier, c’est justement le caractère utopique des changements en douceur, par des négociations avec nos dictateurs ou des élections sous leur contrôle. Toutes les expériences, toutes les tentatives dans ce sens n’ont abouti qu’à des échecs, à des impasses, qui ont servi à renforcer les chaînes de l’exploitation, de la misère, de la dictature et autres violences dont les masses populaires sont les principales victimes. Ce qu’on sait aussi, c’est que, quelles qu’en soient les limites objectives, toutes les avancées, sociales et politiques, petites ou grandes, réalisées ces dernières années au Tchad ou en Afrique en général, depuis les années 90 notamment, comme l’instauration du multipartisme, la fin de l’apartheid en Afrique du Sud, la création des syndicats, des associations, l’éclosion d’une presse privée multiple ou les augmentations des salaires, n’ont été possibles que parce que les travailleurs et les masses opprimées ont organisé des grèves, sont descendues dans la rue, ont lutté, d’une manière ou d’une autre.

 

Alors oui, les travailleurs et l’ensemble des opprimées ont la force, la capacité de faire reculer la dictature d’Idriss Déby Itno et lui imposer leurs revendications, s’ils s’organisent consciemment dans ce sens. Par conséquent, si la résistance actuelle conte le pouvoir du MPS s’amplifie au point d’atteindre cet objectif-là, les masses populaires auront ainsi, sous leurs yeux, la démonstration du fait que, s’ils en ont l’ambition, s’ils s’en donnent les moyens, ils pourront tout changer, tout transformer en fonction de leurs intérêts. Cela renforcera ainsi leur confiance et d’autres possibilités supérieures en jailliront !

 

Malgré l’échec des luttes populaires du passé, à causse surtout de la trahison de ceux qui les ont dirigées, la page de l’histoire reste encore vierge. Les travailleurs et les opprimés pourront alors la remplir à leur manière, en s’attaquant à l’Etat au service des riches, pas seulement pour leurs intérêts propres, mais aussi au nom du prolétariat africain et mondial, en alliance avec ces derniers, dans un élan commun de solidarité des opprimés, fondée sur le fait que, au-delà des frontières nationales, des océans, des continents, c’est la même bourgeoisie et ses valets locaux qui imposent leur ordre partout, à leur profit exclusif, et qu’il est temps de mettre fin à cela, en détruisant leur pouvoir, en les expropriant, en vue de la mise en commun, à l’échelle de la planète, des richesses colossales qui existent, pour jeter partout les bases d’une société débarrassée de l’exploitation, de la concurrence des uns avec les autres, des classes sociales antagoniques, de la misère, des maladies, des inégalités, des injustices, des oppressions de toutes sortes, des violences multiples, fondée sur la démocratie la plus large qui soit, avec pour moteur non pas la loi de l’argent, mais les valeurs humaines, la satisfaction des besoin de tous, afin de bâtir une civilisation hautement développée, dont il est difficile d’imaginer ou de cerner les contours exacts à partir du prisme de notre monde actuel qui, malgré les moyens immenses accumulées, les prodigieux progrès réalisés, les possibilités scientifiques et techniques sans précédent, s’englue et marine encore dans la gangue de la boue, dans tous les domaines, à cause de la loi du profit!

 

Tel est l’enjeu ! Il est de taille, certes, mais c’est le seul qui en vaille la peine. Voilà pourquoi, quelle que soit l’issue de l’élection actuelle, la lutte engagée contre la dictature d’Idriss Déby Itno devrait continuer, s’amplifier, en vue d’une riposte collective du monde du travail et de la mobilisation générale des opprimés afin d’imposer les revendications populaires et de faire avaler en même temps aux politiciens au pouvoir leur morgue, leur « hougoura »!

 

Ali Mohamed Abali Marangabi

abali_icho@yahoo.fr

 

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