20 Juillet 2016
Depuis le déclenchement de l`affaire Hissein Habré, toutes les énergies semblent être orientées vers le déroulement et surtout le dénouement prochain de son procès, lui et ses complices. Mais la grande question qui se pose et reste posée est celle-ci : comment ce jugement dit historique pour l’Afrique en général et le Tchad en particulier aura-t-il un «impact sur la réconciliation entre les tchadiens» comme le prétendent, à tort ou à raison, nos plus hautes autorités, à toutes les occasions quand le sujet est évoqué?
Le 10 Août dernier encore (2013), et pour la énième fois, en réponse à l`une des nombreuses questions posées, et sur l’affaire Hissein Habré, par un confrère, à l’occasion du 53e Anniversaire de l’accession à la souveraineté internationale du Tchad, le Président de la République, Idriss Déby Itno disait entre autres que : « Le jugement de Hissein Habré aura un impact réel sur la réconciliation entre tchadiens ».
En tout état de cause, le procès Hissein Habré et ses complices est devenu une évidence, quelles que soient les embûches, à moins qu`il y ait un cas de force majeur avéré. Même ceux qui prétendent ne servir sous ce régime qu’en tant que soldat, et n’avoir obéi qu’aux ordres ne peuvent ignorer pour autant le sacro-saint principe militaire de la «baillonnette intelligente» qui consiste à résister à tout ordre jugé injuste de la part d’un supérieur hiérarchique. Le jugement de Hissein Habré restera toujours inachevé tant que tous ceux-là, sous ces fallacieux prétextes, peuvent prétendre se soustraire à la procédure en cours. Heureusement que même le Président de la République Idris Déby Itno semble marquer sa disponibilité à coopérer avec les Chambres Africaines Extraordinaires, à l`entendre parler lors de la conférence de presse organisée le 10 août dernier au Palais Rose. Soit. Mais ce qui taraude l’esprit du tchadien lambda dans cet imbroglio politico-judiciaire c’est comment la réconciliation entre les tchadiens se fera-t-elle avec ce jugement? Serait-elle une logique spontanée dudit jugement? Sinon, que fait actuellement la communauté internationale ou du moins les autorités tchadiennes pour accompagner cette procédure judiciaire déclenchée au Sénégal avec celle pouvant permettre aux tchadiens de se réconcilier, entre eux, à l’issue de ce procès?
La justice pour remédier aux peines et aux dommages subis mais il faut aussi la vérité morale, le pardon pour une réconciliation
En effet, il apparait certain que dans le cas d`espèce, châtier le présumé coupable nommé Hissein Habré et ses nombreux complices semble s’imposer comme la seule bonne manière de guérir les immenses peines et remédier aux incommensurables dommages subis par les milliers de victimes. Car, il est de toute évidence que l`impossibilité de manifester leur colère à l’égard des coupables - vrais ou supposés – entraine inexorablement une intensification de la douleur des victimes. Lesquelles victimes se prennent alors à haïr, non seulement, le présumé coupable et ses complices en tant que des individus, mais aussi toute personne et toute entité qui leur sont associés : famille, communauté, groupe religieux, etc. A ce niveau du problème, et dans cette rocambolesque affaire qui constitue, à n`en point douter, une épine dorsale de notre temps, il nous faut absolument la vérité morale, le pardon et la réconciliation des cœurs pour que la paix sociale durable s`installe un jour dans notre pays. Il faut, au niveau national, réussir à porter au grand jour, les méfaits et les atrocités du régime Hissein Habré, amener victimes et bourreaux à se parler, se pardonner pour se réconcilier. L’un des cas d’école du continent africain est celui d’Afrique du Sud, sous l’impulsion de l’icône Nelson MANDELA.
Il faut rapiécer les relations humaines brisées par des pratiques malsaines qui ont encore la peau dure
Certes, il faut une justice punitive qui châtie, d`une manière légale, les auteurs des crimes commis sous le règne de Hissein Habré pour marquer qu`une société tchadienne renouvelée reconnait expressément le mal qui a été commis et qu`elle ne le tolérera pas pour l`avenir. Ensuite, cette justice implique nécessairement une justice réparatrice qui restaure la dignité et les droits des victimes, cela veut dire que toute victime d`une quelconque infraction pendant ce règne doit obtenir réparation.
Cependant, par-dessus tout, il faut amener les tchadiens - victimes et acteurs de ce règne – à renoncer volontairement à la vengeance, à l’empathie en cherchant à réparer les relations humaines affreusement brisées par des pratiques malsaines, à la limite, inhumaine, humiliante et dégradante. Lesquelles pratiques, sans oser parfois les désigner par leurs noms pour les combattre et les éradiquer, continuent malencontreusement de refluer d’une manière ou d`une autre, et de façon sournoise sous le régime actuel, telles que les filatures à outrance des paisibles citoyens, les «dénonciations calomnieuses», les prédations des libertés, les penchants autocratiques, les supplices psychologiques caractérisés par des détentions arbitraires et illégales, les condamnations judiciaires et les menaces de poursuites pénales sur toutes celles et tous ceux qui tentent d’avoir une voix discordante, pour ne citer que ces pratiques là.
Il faut que les tchadiennes et tchadiens de tous bords réussissent à tourner véritablement le dos au passé dans une démarche qui ne perdra pas de vue la justice punitive et réparatrice certes mais bien plus, dans une logique qui réussira à humaniser l’ennemi. En d’autres termes, les victimes du régime Hissein Habré, après ce jugement, doivent décider de ne pas laisser les atrocités commises sur leurs personnes et leurs biens faire obstacle à l’établissement d’une nouvelle relation de fraternité avec les coupables qui après tout sont leurs compatriotes.
Le triptyque vérité-pardon-réconciliation, cet autre processus que nous appelons de tout notre voeux pour accompagner le jugement de Hissein Habré laisserait le temps aux tchadiens de régler en profondeur les différends qui les a opposés et les opposent encore aujourd’hui, même si certains, pour des raisons inavouées, feignent l`ignorer ou tentent de l’esquiver. Loin d’être la conséquence logique de la justice punitive et réparatrice en cours, la vérité morale et le pardon sincère sont, sans nul doute, les phases concrètes de la réconciliation qui réparera définitivement les multiples relations humaines brisées, le plus souvent, par les égarements de nos gouvernants.
PS: Cet article écrit en Septembre 2013 mais le débat reste d'actualité.
MANGA Jean-Bosco
Juriste-Journaliste-Écrivain