29 Juillet 2016
Le procès de Nuremberg, novembre 1945 – Octobre 1946, est le modèle de procès de crimes de guerre et crimes contre l’humanité.
Il restera pour toujours un grand procès ayant une vocation historique et éducatif pour les contemporains et les générations futures.
Le procès de Nuremberg a montré une réelle volonté de rendre justice aux victimes et à leurs descendants.
Est – ce le cas pour le procès de Dakar ? La justice est-elle vraiment passée ?
1 – Et si on retenait le procès de Dakar comme une bouteille à moitié vide
Le procès de Dakar a, sans nul doute, un goût d’inachevé.
Pour la grande majorité des Tchadiens silencieux, ce sera une bouteille d’abord à moitié vide parce que tous les massacreurs n’ont pas été à la barre et ne sont pas encore jugés. La douleur, l’incompréhension et la rancœur sont toujours aussi vives pour les victimes vivantes que pour les familles de ceux qui n’ont pas survécus aux tortures.
S’il nous fallait faire un « tout petit » rappel historique du procès de Nuremberg, nous dirions ceci :
1) Hitler n’était pas présent mais ses proches lieutenants : Göering, Hess, Rebbentrop, Keitel, Kaltenbrünner, Rosenberg et tant d’autres furent jugés et condamnés.
2) Toutes les organisations « NAZI » : le NSDAP (le parti Nazi), La SS (groupe de protection), la SA (Section d’Assaut appelé aussi les chemises brunes), la SD (Service de sécurité), la Gestapo (police politique) furent déclarées criminelles.
Le seul fait d’être membre d’un de ces organisations faisait de la personne un criminel susceptible d’être poursuivi. Beaucoup l’ont été en effet.
A Dakar, nous avons tous bien vu le sommet de l’iceberg, le chef charismatique Mr Hissein Habré mais pas les autres. Les autres ? Qui sont-ils ? Ce sont :
Pourquoi toutes ces personnes, membres de la DDS, organe de répressions de l’ancien régime, notoirement connus et reconnus de tous les survivants n’étaient-elles pas présentes à la barre à Dakar
Pourquoi n’ont-ils pas eu à s’inquiéter ? Est-ce par ce que, comme le disait Maître Delphine K. Djiraibé, avocate au barreau de N’Djamena (Cf. Article cité dans http://www. Le monde.fr/afrique/article/2016/02/10/…) à propos des massacres ciblés des gens du Sud
…"Au prétexte de reconquérir le Sud, il a fait exécuter des milliers de civils. Au prétexte de rééquilibrer les pouvoirs entre les communautés du Nord [d’où est originaire Hissène Habré] et celles du Sud, il a tué les uns pour faire de la place aux autres »
C’est surtout parce qu’actuellement, tous sont en service après la chute de M. H. Habré. Sous la houlette du nouvel homme fort, l’appareil répressif du système déchu a été, restructuré, perfectionné et maintenu en activité avec et par ces mêmes individus. Ils ont eu, c’est sûr, encore droit aux mêmes conseils avisés des agents techniques envoyés par les mêmes parrains occidentaux (la France, les États Unis d’Amérique…).
Par ailleurs, n’oublions pas que le rapport de confiance, qui a existé entre certains dignitaires au pouvoir aujourd’hui et M. H. Habré persiste toujours. Cette confiance était scellée par des alliances matrimoniales voire tribo-claniques ancestrales.
Les Tchadiens savent que les dirigeants actuels du Tchad étaient, pour beaucoup des maillons importants du régime et du système politique, militaire et surtout sécuritaire de M. Habré.
Ils auraient dû tous être appelés à la barre, jugés et être condamnés de complicité, de tortures pour certains et de crime contre l’humanité pour d’autres.
Il est donc évident que le « Hitler tchadien » ne peut être seul responsable de la mort de ces 40 000 personnes. D’ailleurs ce chiffre est en dessous de la réalité.
Sans remettre en cause la sincérité du rapporteur, et l’énorme travail que lui et les autres membres de la commission ont effectué, n’ignorons pas que la commission d’enquête a été nommée, même si c’est sous la pression Internationale, par Idriss Deby, ancien chef des armées devenu successeur de Habré. On peut supposer que les actes commis, par lui, ont été minorés ou gommés.
Enfin, si nous considérons Mr Habré comme le Hitler tchadien, son successeur et ancien collaborateur, ayant joué tour à tour le rôle de Göering, Hess, Rebbentrop devait être jugé pour les mêmes faits : massacres de 1982 à nos jours dont celui de « Septembre noir », les crimes économiques liés aux détournements financiers massifs dont l’argent du pétrole tchadien organisé de manière systématique par lui-même et sa famille.
Et pourtant, le Statut des Chambres Africaines Extraordinaires au sein des juridictions sénégalaises pour la poursuite des crimes internationaux commis au Tchad durant la période du 7 juin 1982 au 1ᵉʳ décembre 1990 dit clairement en son Article 10-Responsabilité pénale individuelle et défaut de pertinence de la qualité officielle (nous citons textuellement les paragraphes 2,3,4, et 5)
« Quiconque a commis, ordonné, planifié ou incité à commettre, ou de toute autre manière aidé et encouragé à planifier, préparer ou exécuter un crime visé aux articles 5 à 8 du présent Statut est individuellement responsable dudit crime en tant qu’auteur ou complice. »
« La qualité officielle d’un accusé, soit comme Chef d’État ou de Gouvernement, soit comme haut fonctionnaire, ne l’exonère en aucun cas de sa responsabilité pénale au regard du présent Statut, plus qu’elle ne constitue en tant que telle un motif d’atténuation de la peine encourue » (mis en gras par nous)
« Le fait que l’un quelconque des actes visés aux articles 5 à 8 du présent Statut ait été commis par un subordonné n’exonère pas son supérieur de sa responsabilité pénale s’il savait ou avait des raisons de savoir que le subordonné s’apprêtait à commettre cet acte ou l’avait fait et que le supérieur n’a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher que ledit acte ne soit commis ou en punir les auteurs »
« Le fait qu’un accusé ait agi en exécution d’un ordre d’un gouvernement ou d’un supérieur ne l’exonère pas de sa responsabilité pénale mais peut être considéré comme un motif d’atténuation de la peine ».
Pourquoi Idriss Déby avait-il refusé le transfèrement des anciens responsables de la DDS sinon par peur que ces personnes apportent la preuve de sa propre implication dans les multiples massacres.
2 – Le procès de Dakar une lueur d’espoir mais, des questions sans réponses
En fait, ce procès soulève mille et une question :
Une réaction normale et humaine serait de se saisir enfin de cette occasion pour s’expliquer ou mieux, faire la peau à celui qui lui a arraché le pouvoir. Or, il garde un silence coupable, laissant sa femme se débattre comme un diable auprès des médias pour tenter de le blanchir de tout.
Pour la plupart des tueries de masse (entre 1982-1990) dans le Sud-Tchad ou dans le Nord -Tchad après la reprise de Faya d’entre les mains du Gouvernement d’Union National du Tchad (GUNT) et son allier Libyen, le nom du chef d’état-major de H. Habré est souvent cité. Dans le cas de Faya, il serait devenu fou de rage, parce qu’il aurait perdu un de ses frères et pour se venger il aurait fusillé de ses propres mains, kalachnikov au point, plus de deux cents prisonniers (cette histoire mériterait une enquête de vérification). Les juges d’instruction de la Chambre Africaine Extraordinaire auraient pu pourtant obtenir l’information, en interrogeant les rescapés-survivants.
Le procès de Dakar n’a pas satisfait vraiment tout le monde. Mais il reste néanmoins une réelle avancée pour le peuple tchadien et plus particulièrement pour la jeunesse.
Désormais, aucun président tchadien ne pourra plus revivre tranquillement après avoir gouverné le pays en massacrant, humiliant grands et petits, volant et détournant les biens communs au profit de sa famille exclusivement
Même si aujourd’hui, ceux qui continuent de faire encore du mal à leur pays et leur concitoyen se pavanent avec une certaine insouciance et condescendance, l’histoire les rattrapera un jour. Le procès de l’ancien Président H. Habré planera sur eux comme une épée de Damoclès.
Enfin, ce procès est historique mais aussi éducatif pour la jeunesse, cette génération qui n’a pas vécu directement les événements de notre pays. Il va lui permettre une fois en responsabilité de ne pas réaliser le même scénario, de ne pas prendre le même chemin, de ne pas commettre les mêmes forfaitures que ceux qui dirigent depuis plus de 36 ans le pays.
Conclusion
La jeunesse tchadienne est la lueur d’espoir. Je leur chuchote cette citation de Kant :
«Que puis-je connaître ? Que dois-je faire ? Que suis-je permis d’espérer « ?
Cette citation mérite qu’ils s’y attardent car, à mon avis, elle est structurante et galvanisante à la fois.
Que puis-je connaître ? Absolument tout car tout est porté à votre connaissance. Il y a des milliers de boulevards d’informations. Aux jours d’aujourd’hui, il vous est possible de tout savoir, de tout connaître, de tout étudier et de tout expérimenter même la contestation.
Que dois-je faire ? Explorer tous les possibles sans jamais renoncer à vos droits, vous battre pour vous et pour les autres, pour qu’un monde meilleur s’ouvre à vous et pour un Tchad où vous aurez votre place à part entière.
Que suis-je permis d’espérer ? « N’attends pas que les événements arrivent comme tu le souhaites; décide de vouloir ce qui arrive et tu seras heureux » (Épictète)
En somme, la jeunesse est d’abord d’audace car, il en faut pour agir ici et maintenant. Elle est aussi synonyme de Liberté, de passion, de courage et d’intelligence.
Marguerite-Odile Kabatchang
juin-juillet 2016