12 Août 2016
Forum social mondial : Des absents à Montréal, des critiques et des questions
Cap au Nord ! Pour la première fois depuis sa création en 2001, le Forum social mondial (FSM) se tient cette année dans un pays du Nord, le Canada. Après Porto Allegre, Bombay, Nairobi, Dakar et Tunis, qui sont toutes des villes du Sud, ses organisateurs ont choisi, cette année, Montréal pour débattre «autrement» des grandes questions d’économie et de société dans le monde et des moyens de lutter contre les «inégalités produites par le système capitaliste». Le choix du Canada n’a pas été du goût de tout le monde.
Beaucoup de militants et de participants ne comprennent pas comment des altermondialistes, dont le combat vise «l’impérialisme économique» et le «diktat du grand capital financier», pour reprendre les expressions d’un observateur algérien, ont choisi un pays membre du G7 et un «adepte de Davos» pour dénoncer les inégalités et les rapports déséquilibrés et de domination du Nord sur le Sud. La controverse créée par le choix de Montréal, qui a accueilli avant-hier l’évènement par une marche, a grossi avec ce qui est dé- sormais appelé «l’affaire des visas». Certains participants ont vu leur demande de séjour au Canada refusée, d’autres, selon les autorités canadiennes qui invoquent des règles consulaires et d’immigration «claires», n’ont pas eu le temps nécessaire pour obtenir le titre d’entrée au Canada. Parmi ceux qui n’ont pas pu s’y rendre faute de titre de séjour, des personnalités de premier plan au sein du FSM, tel le président du Syndicat palestinien des postiers Imad Temiza, ou l’ex-ministre malienne Aminata Traoré, ou encore Rogerio Batista du syndicat brésilien CUT. «Un entrave à la liberté de circulation», dénonce Mme Traoré au télé- phone. L’ancienne ministre malienne de la Culture précise qu’elle a décidé de ne pas se rendre à Montréal par solidarité avec les militants auxquels on a refusé le visa. «Ces refus sont révélateurs des dérives des démocraties occidentales, notamment sur les questions de la libre-circulation dont elles chantent les louanges, mais qu’elles ne respectent pas en bonnes donneuses de leçons». «Pour cela, explique-t-elle, j’ai décidé de ne pas me rendre au FSM2016, en dépit du fait que les autorités canadiennes et le comité du FSM sont en train de tout faire pour régler mon problème de visa.» «Bien que les autorités canadiennes veuillent à tout prix me faire venir à Montréal, je refuse d’y aller, je n’ai pas envie de servir de symbole au gouvernement canadien, si mes camardes ne sont pas les bienvenus», a-t-elle poursuivi en considé- rant que la question du visa, au-delà des tracasseries administratives et consulaires, ré- vèle en Occident des «refus politiques et stratégiques» de courants de pensée et d’action «anti-impérialiste».
COLÈRE ET INTERROGATIONS
«Les militants altermondialistes sont stigmatisés», juge Mme Traoré, qui affirme que depuis sa création, «le FSM dérange les grandes puissances et les lobbies capitalistes parce qu’il a apporté un souffle nouveau au combat des laissés-pour-compte». Et d’ajouter : «Ils peuvent nous mettre la pression autant qu’ils voudront, nous aussi, on se mobilisera aussi longtemps qu’il faudra, cela dit nous devons prendre acte de cette expérience et faire nos bilans.» Aux yeux de Biram Brasse, un jeune militant altermondialiste sénégalais membre de l’Organisation de la jeunesse panafricaine, «l’esprit du FSM est en train de disparaitre progressivement sous l’influence grandissante des ONG qui commencent à avoir leur mot à dire sur le fonctionnement même du Forum». Il y a lieu, selon lui, d’instaurer un débat sur «ces ONG et leurs agendas dans un contexte où certaines d’entre elles sont clairement devenues des outils de pression aux mains de puissances et de groupes d’intérêts politiques et économiques en Occident». «C’est par le lobby sioniste, insiste-t-il, que le boycott d’Israël est devenu une idée de moins en moins partagée au sein du FSM.» «La plupart des militants à qui on a refusé les visas, dit-il, viennent de pays très sensibles, où la parole comme l’action contre les lobbys occidentaux sont très fortes.» «L’émancipation des pays du Sud fait peur aux grandes puissances, le monde est en crise à cause de l’impérialisme ravageur, le FSM est un mouvement d’altermondialistes antiimpérialistes, un rassemblement d’anti-impérialistes en Amérique du Nord ne peux pas se faire pas dans l’état actuel du monde», ajoute-t-il. Et l’Algérie dans tout ça ? Pour Abdelouaheb Fersaoui, président du RAJ, qui observe depuis des années le milieu militant altermondialiste algérien, le Canada comme nouvelle destination du Forum est «un excellent choix. Les grands débats sur les effets du capitalisme et de l’impérialisme doivent aussi être menés au cœur des grandes puissances. Il ne faut surtout pas accuser nos camarades canadiens de chercher d’orienter le débat vers ce qui n’est pas du ressort du Forum. Les altermondialistes canadiens connaîssent bien les enjeux. Ils dénoncent les dérives capitalistes et cherchent à créer des dynamiques de résistance dans l’antre de ces puissances, ce qui n’est pas rien». Les raisons de l’absence des Algériens de cette édition du FSM sont, selon lui, «bien évidement financières» : les frais de visa et de billet sont élevés. Cependant, les explications données par les autorités canadiennes sur les visas «ne tiennent pas la route. Le refus des visas est réfléchi et délibéré» pour empêcher que les résistances en action depuis Porto Allegre et qui animent les pays du Sud ne gagnent le Nord. «Rien dans le Forum social mondial, ses choix, ses idées, ses combats n’arrangent les puissances économiques du Nord», dit-il. Sur l’implication réelle des associations algériennes altermondialistes ou d’inspiration de gauche dans l’organisation et le fonctionnement du FSM, M. Fersaoui se montre très sé- vère : «Bien que les associations algériennes soient engagées depuis très longtemps dans la lutte anti-impérialiste, elles ont du mal à prendre le train déjà en marche, puisque, chez elles, le débat interassociations qui permet de dégager des stratégies de réflexion et de positionnement défendables par rapport à celles proposées par d’autres est quasi inexistant.»