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26 Octobre 2016
Depuis le coup de force électoral perpétré par Idriss Déby Itno, tous les regards sont tournés vers les principaux chefs de l’opposition désignés comme les perdants par la dictature de N’Djaména. Nombreux sont, en effet, ceux qui se demandent ce que ces derniers vont faire ou ont l’intention de faire.
Ces questions sont d’autant plus légitimes que, en dehors des partisans du pouvoir, tout le monde s’accorde à dire que cette élection a connu une mobilisation populaire sans précédent, marquée par une profonde envie de changement, symbole d’un ras le bol de la politique du pouvoir par des larges couches de la population, à tel point que, en réalité, le satrape de N’Djaména a été bel et bien battu : il ne doit son maintien au pouvoir qu’à l’armée, la principale structure qui fonde la dictature en place, et au soutien de l’impérialisme français.
Ayant tenu leurs propres décomptes, par des voies parallèles, différentes de celles officielles dont s’est servi Idriss Déby Itno, les principaux rivaux de celui-ci, Saleh Kebzabo, Laoukein Médar, Mamat Saleh Alhabo, Djimrangar Dadnadji, Gali Gata Ngoté notamment, eux, sont même plus précis : ils prétendent qu’Idriss Déby Itno n’a pas seulement été battu, mais qu’il n’a même pas pu accéder au deuxième tour, les trois premiers candidats, par ordre de suffrages, étant, selon eux, Saleh Kebzabo, Laoukein Médar et Djimrangar Dadnadji.
Dans ces conditions, on comprend mieux pourquoi, de façon quasi anxieuse, tout le monde, le microcosme politique tchadien notamment, à l’étranger comme au pays, scrute le moindre geste des candidats de l’opposition pour savoir ce qu’ils comptent faire pour que le vote des populations qui, selon eux, s’est exprimé en leur faveur soit respecté. Nombreux même sont ceux qui disent que, dès la proclamation de la victoire d’Idriss Déby Itno, ils s’attendaient à ce que les principaux responsables de l’opposition appellent à une large mobilisation populaire en vue d’obliger la dictature à respecter le choix des populations.
Mais, force est de constater que, pour l’instant, Kebzabo et ses alliés sont, somme toute, peu loquaces et très avares quant à leurs véritables intentions. Certes, dès l’annonce de la victoire d’Idriss Déby Itno, ils ont déclaré qu’ils ne la reconnaissaient pas. Mieux, se considérant comme les vrais vainqueurs de l’élection, ils sont même allés plus loin : ils ont dit qu’ils constitueraient leur propre gouvernement dans la perspective de diriger le pays. Pour marquer leur détermination à ne pas se faire voler ce qu’ils considèrent comme leur victoire par le MPS, ils ont même lancé un mot d’ordre de ville morte, qui a été un échec total par ce que, de façon surprenante, pour ce faire, ils ont choisi… un jour férié! Pour faire entendre leurs voix et défendre leur vision des choses, ils ont aussi mis sur pied une structure dénommée le FONAC (le Front de l’Opposition Nouvelle pour l’Alternance et le Changement). Peu de temps avant l’investiture d’Idriss Déby avec la bénédiction de l’impérialisme français, afin de trouver une issue à la crise politique née du hold-up électoral du pouvoir, ils ont revendiqué la tenue d’un dialogue inclusif. Enfin, dernièrement, face à la situation actuelle marquée par les mesures prises par le gouvernement, ils ont pondu un communiqué comprenant un catalogue de propositions timorées, adressées à Idriss Déby Itno, comme si ce n’était pas de façon consciente que celui-ci s’en prend aux intérêts des couches populaires !
Face donc à ces quelques initiatives, qui sont loin d’être à la hauteur des immenses attentes des populations, le moins que l’on puisse dire est que les différents responsables de l’opposition brillent par une sorte de léthargie frisant l’impuissance, poussant même nombre de leurs partisans à s’interroger sur leur comportement ou même à être tout simplement insatisfaits et frustrés par celui-ci.
Comment alors expliquer cet énorme décalage entre les attentes de leurs partisans ou d’une frange importante des populations, - qui souhaiteraient les voir plus combatifs -, et ce comportement des principaux responsables de l’opposition, qui s’apparente fort bien à une capitulation, qui refuse de dire son nom ?
Ce comportement n’est, en réalité, ni surprenant ni fortuit. En effet, si, alors qu’une partie de l’opinion s’attend à les voir engager des luttes multiformes, à appeler à une vaste mobilisation populaire pour faire respecter le choix des populations lors de la dernière élection, les Kebzabo, Alhabo, Dadnadji et autres Gali optent plutôt pour un dialogue avec la dictature, il y a des raisons profondes à cela: toute leur attitude est un choix social et politique, qu’un certain nombre de facteurs expliquent aisément.
Il y a d’abord le fait que, comme ceux du MPS, les principaux responsables de l’opposition tiennent, eux aussi, à l’ordre social et constitutionnel en vigueur. Ce dernier, avec son Etat, ses institutions, ses lois, est aussi le leur. C’est leur œuvre commune, construite de concert avec Déby et compagnie. Ils ont, en effet, participé à sa fondation, en 1993, lors de la conférence nationale, ce rendez-vous au sommet de la classe dirigeante de l’époque, notamment des chefs de guerre et autres charlatans politiques qui, des années durant, avaient plongé le pays dans des affrontements criminels et fratricides sur des bases ethniques, régionales et autres. Avec ces derniers, alors qu’il était évident qu’il n’y avait rien à attendre d’Idriss Déby Itno, - un homme qui, huit ans durant, avait, consciemment et largement, contribué à imposer la dictature de
A leur manière, ils ont, ainsi, non seulement contribué à jeter les bases de l’ordre social actuel, mais aussi à les consolider en participant consciemment à la supercherie qui voudrait rendre « crédibles » les institutions en place, notamment aux yeux des petites gens. Cependant, ils n’ont pas agi, de cette façon, à perte : ministres, députés, maires, conseillers ou membres des différentes structures de l’Etat, en leur qualité de dignitaires de la classe dirigeante, ils ont, eux aussi, largement profité de la gestion des affaires publiques, comme l’a avoué, il y a peu, à la télévision, l’un d’entre eux, Béral Mbaïkoubou, député de son état, qui a révélé qu’il a un salaire annuel supérieur à 22 millions de francs cfa. En d’autres termes, il gagne, en une année, ce que touche, au bout de vingt-huit ans de travail, un ouvrier ou un agent de l’Etat condamné à faire vivre sa famille avec un salaire de misère de 60 000 francs cfa par mois correspondant au smic ! Dès lors, on comprend mieux le train de vie de nababs que mènent ces gens-là, qui n’a rien à envier à celui des dignitaires du MPS, mais aussi les raisons combien juteuses de leur adhésion à l’ordre politique et social en vigueur, où ils sont grassement intégrés, qui fait d’eux des privilégiés aussi!
Un autre facteur à l’origine du comportement des politiciens de l’opposition est également le fait que, par cette attitude, ils cherchent aussi à plaire aux plus riches, aux différents notables du pays. En effet, leur souci d’éviter tout conflit frontal avec la dictature est aussi un message adressé aux couches dirigeantes locales, aux principaux responsables politiques, militaires, économiques et autres : c’est une façon de leur dire qu’ils n’ont rien à craindre d’eux, car ce à quoi ils aspirent, ce n’est pas de bouleverser les choses, mais, sous des formes nouvelles, certes, de continuer à faire la même politique. Tel est, par exemple, le sens profond des propos de Saleh Kebzabo quand, avant l’élection présidentielle, s’illusionnant peut-être de pouvoir remporter celle-ci, il avait rassuré Idriss Déby Itno, en lui promettant une impunité totale et la garantie d’une vie paisible dans son village d’Amdjarass, comme s’il n’y aurait rien à reprocher à celui-ci au cours de son long règne dictatorial! Au-delà du président actuel, c’était une adresse à l’ensemble de la classe dirigeante pour lui signifier son respect de l’ordre en vigueur, surtout son ambition de diriger en s’appuyant sur le même Etat, la même armée, la même justice, la même administration, voire le même personnel.
Mais, au-delà de la classe dirigeante locale, c’est surtout aux yeux des responsables politiques des pays riches, de
Dans ces conditions, attendre d’eux une mobilisation populaire contre l’Etat en place est aussi impossible que de vouloir tirer un pet d’un âne mort ! Jamais ils ne pourraient prendre la moindre initiative de ce type, qui pourrait être porteuse d’une menace contre l’ordre en vigueur, de peur d’être désavoués par les Hollande et Obama notamment, dont ils sont les valets ou aspirent à l’être, à qui ils offrent tous leurs services pour être d’éventuelles solutions de rechange un jour, comme Idriss Déby Itno il y a 26 ans ! Voilà donc pourquoi, alors que tout porte à croire que ce sont eux qui ont gagné la dernière élection, face au choix de
Cependant, plus que toutes ces considérations, la véritable explication du décalage entre le comportement des principaux responsables de l’opposition et les aspirations de certains de leurs partisans, qui voudraient les voir faire preuve de plus de combativité, se trouve surtout dans la peur bleue que les masses populaires leur inspirent, à eux aussi : en effet, comme les dirigeants du MPS, les Kebzabo et compagnie craignent également les masses opprimées, la colère de celles-ci, la volonté populaire !
Comme le souhaiteraient certains de leurs comparses, la seule façon de faire respecter le choix des populations, mais, en même temps, de s’attaquer à l’exploitation, à la misère, à la cherté de la vie, aux maladies, aux salaires de misère, au chômage, aux privations de toutes sortes qu’impose la dictature du PMS c’est, en effet, la mobilisation de l’ensemble des opprimés en vue de la création d’un rapport des forces qui, par le biais de la grève générale et des manifestations dans les rues, fera reculer la dictature et lui dicter les revendications populaires, tant démocratiques que sociales! Mais, une telle perspective, fondée sur des luttes dirigées par les opprimés eux-mêmes, les responsables politiques de l’opposition ne la voudront jamais, car, ils ont peur d’être débordés par la mobilisation populaire, que celle-ci aille plus loin, qu’elle s’attaque à l’ordre des riches ; ils craignent surtout que les masses opprimées fassent irruption dans les sphères de l’Etat, là où se discutent et se décident les choix les concernant et qu’elles imposent les leurs propres, en fonction de leurs intérêts spécifiques de pauvres, diamétralement opposés à ceux des trusts et des couches privilégiées locales. Ils craignent la volonté populaire, surtout le fait que si, demain, par une vaste mobilisation, les masses opprimées arrivent à faire reculer la dictature ou à la mettre bas, elles apprendront à travers leur expérience de luttes, accéderont nécessairement à la conscience qu’elles ont la capacité de changer les choses pour elles-mêmes et n’accepteront pas, par conséquent, de se soumettre à la volonté d’un dictateur quelconque, quel qu’il soit, militaire ou civil !
C’est de cette perspective-là que nos politiciens de l’opposition ont peur, en vérité ! C’est cela qui, en définitive, est à l’origine de leur manque de combativité et qui explique pourquoi on ne les voit nulle part quand une frange de la population se met en branle et s’engage dans un combat contre la dictature pour la défense de ses intérêts légitimes, comme de nos jours avec les grèves déclenchées par les travailleurs rejetant les mesures d’austérité du gouvernement. Oui, si, au lieu de s’appuyer sur le mécontentement populaire qui couve dans le pays, d’unifier toutes les frustrations, en vue de constituer une forte mobilisation qui aurait les chances de s’imposer à la dictature et de lui dicter les revendications des masses opprimées, ils préfèrent discuter avec le pouvoir, c’est tout simplement parce qu’ils ont tous peur de la colère des pauvres : le dialogue inclusif est, pour eux, un moyen habile de limiter le débat décidant du sort de la société à la classe dirigeante, à eux et aux responsables de la dictature, mais surtout un piège pour empêcher que les masses opprimées ne fassent entendre leurs propres voix et leurs revendications spécifiques!
Autant que ceux du MPS, les responsables politiques de l’opposition n’ont cure des masses populaires et de leurs préoccupations profondes ! Ils ne s’intéressent à celles-ci que comme forces de manœuvres électorales, dont ils se servent, lors des élections, parce que, au bout, il y a leurs intérêts de notables, de députés, de maires, de conseillers, exactement comme les chefs de guerre d’hier, qui les utilisaient comme chair à canon ou s’appuyaient sur leurs cadavres pour se hisser au pouvoir, afin d’y défendre leur propre pomme !
Telles donc sont les différentes raisons à l’origine du décalage entre les attentes de certains de leurs partisans, qui aimeraient les voir faire preuve de plus de combativité face à la dictature, et le comportement réel des chefs de l’opposition, dont tout le radicalisme se limite au respect de l’ordre social actuel.
Tout cela démontre, à suffisance, que les Déby, Kabadi, Pahimi, leurs sous-fifres, d’un côté, et les Kebzabo, Alhabo, Gali, Dadnadji, leurs comparses, de l’autre, comme hier les Goukouny, Habré, Kamougué et autres, sont tous des gens d’un même monde, qui défendent rigoureusement les mêmes intérêts, ceux de l’impérialisme, français notamment, et des privilégiés locaux. Il n’y a donc rien à attendre des uns et des autres, si l’on veut voir se réaliser un jour les aspirations légitimes des masses opprimées aux libertés démocratiques élémentaires et à de meilleures conditions de vie.
Par conséquent, la seule leçon que l’on puisse tirer de la crise politique et sociale actuelle, mais aussi des luttes du passé, est que pour changer leur sort, accéder à des conditions de vie dignes de notre époque, les masses opprimées ne peuvent compter que sur leurs seules forces, leurs propres luttes, leurs propres organisations. Tant sur le plan démocratique que social, les seules avancées, les seules améliorations, qu’ils peuvent obtenir ne seront que les fruits de leurs propres combats !
Ali Mohamed Abali Marangabi
Abali_icho@yahoo.fr