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20 Novembre 2016
QUELLE STRATEGIE ?
QUEL PROGRAMME POUR LES LUTTES EN COURS ?
QUELS MOYENS POUR SATISFAIRE
LES ASPIRATIONS POPULAIRES AU DROIT A LA VIE ?
Depuis quelque temps, suite aux mesures prises par Idriss Déby Itno pour, semble-t-il, faire face aux conséquences de la crise économique, mais qui, en réalité, sont une nouvelle attaque en règle contre les intérêts de la majorité pauvre de la société, un vaste mouvement social se développe dans le pays, qui s’exprime sous la forme de plusieurs grèves dans les secteurs clé de l’administration : Education, Santé, Finances, Justice, etc. Pratiquement tous les services essentiels sont touchés à tel point que toute l’administration s’en trouve grippée et tourne au ralenti. Dans le secteur industriel aussi, bien d’unités, comme la SONACIM, sont sur le point basculer dans la grogne sociale.
Ce bras de fer entre Idriss Déby Itno et le monde du travail, mobilisé dans les différentes organisations syndicales, est, certes, l’expression du refus des mesures gouvernementales par l’écrasante majorité des travailleurs du pays. Mais, vu le contexte politique et social général, marqué par vingt-six ans de dictature, de diverses frustrations et injustices, nul doute qu’il va bien au-delà de ces décisions circonstancielles : il symbolise la colère, l’exaspération des larges couches de la population opprimée qui ont plus que marre de la politique d’Idriss Déby Itno et ses partisans !
Voilà pourquoi les travailleurs qui rejettent catégoriquement ces mesures-là ont mille fois raison! Ce n’est pas à eux de faire les frais de la crise économique du système capitaliste dont Idriss Déby Itno et son gouvernement sont les serviteurs et valets locaux !
Mais, évidemment, il ne suffirait pas que les travailleurs expriment leur colère, combien légitime au demeurant, pour que les dirigeants du MPS tiennent compte de leurs revendications : de ces dernières, comme des préoccupations des masses populaires en général, l’ancien chef d’état major d’Hissein Habré et ses sous-fifres n’ont cure ! Ils l’ont largement démontré depuis qu’ils sont à la tête du pays et le prouvent encore de nos jours : alors que tout le monde sait que, si on les applique, ces mesures auront des conséquences désastreuses sur la vie des masses populaires, - parce que d’un salaire dépendent souvent plusieurs bouches à nourrir -, Idriss Déby Itno et les siens font le choix conscient de les imposer quand même, à tout prix, avec cynisme et mépris !
Par conséquent, les travailleurs en lutte n’ont pas d’autre alternative que de se battre pour faire plier la dictature et la contraindre à retirer ses mesures au nom du droit à la vie des opprimés. Et, objectivement, ils en ont les moyens ! En effet, à cause de leur position au cœur de l’économie notamment, les travailleurs jouent un rôle fondamental dans tout ce qui fait marcher la société. Ce sont eux qui font fonctionner les secteurs industriels dont dépend le pays : les sites pétroliers, la Coton Tchad, la STE, la SLE, la SONASUT, la SONACIM, la Brasserie, la Poste, la Téléphonie, mais aussi les banques, les assurances, le bâtiment, le transport, etc. Dans l’administration également, rien ne se fait sans leur force de travail ou leur intelligence : la Santé, l’Education, la justice, la Culture, la Communication, bref, tous les secteurs publics essentiels ne fonctionnent que grâce à eux. Contrairement aux classes dirigeantes et autres privilégiés qui, tels des parasites, des sangsues, des poux, inutiles, vivent sur le dos de la société, les travailleurs, eux, en sont la sève, la source nourricière, dont dépend toute l’organisation sociale. Ce rôle particulier, nécessaire, qu’ils jouent leur confère en même temps une force colossale dont ne dispose aucune autre classe sociale. Par conséquent, s’ils sont conscients de cet état des choses et s’ils en ont l’ambition, ils sont capables de bloquer tout le pays, de le paralyser, de le couper du reste du monde et, par ce biais, de faire reculer la dictature, de la mettre à genoux, voire de la renverser !
Aussi, pour ce faire, la seule perspective qui en vaille la peine est-elle celle d’une riposte collective du monde du travail contre la politique du gouvernement. Car, individuellement, aucun secteur n’est à même de changer le rapport des forces entre lui, d’une part, le pouvoir et le patronat, de l’autre. Par contre, toute la classe ouvrière dans son ensemble, tous les travailleurs du pays donc, tant du public que du privé, secteurs et catégories confondus, unis autour de la nécessité de défendre collectivement leurs intérêts de classe et leur droit à la vie, pourraient changer la donne, c’est-à-dire le rapport des forces entre eux et le pouvoir ! Par delà les chapelles syndicales, seule cette stratégie de l’unité de tous les travailleurs pourrait donner à ces derniers les moyens d’imposer les aspirations populaires au clan du pouvoir et celui du patronat. Par conséquent, c’est cette perspective-là qu’il conviendrait de construire, méthodiquement, consciemment, sous la forme d’un mouvement d’ensemble, d’une mobilisation générale du monde du travail, dans une riposte collective contre la politique du pouvoir, avec pour ultime objectif, la grève générale !
Par ailleurs, les attaques du pouvoir ne se limitent pas qu’aux travailleurs : elles vont au-delà de ceux-ci et ont aussi pour cible l’ensemble des opprimés du pays. C’est pourquoi, dans leur combat, les travailleurs auraient intérêt à s’ouvrir aussi aux autres catégories de la population qui souffrent des mêmes problèmes qu’eux : aux organisations des droits de l’homme, aux associations des femmes, des étudiants, des élèves, des jeunes, des consommateurs, des journalistes, aux associations culturelles, à celles des artisans, des artistes, des petits commerçants, des paysans pauvres, aux millions d’autres opprimés, étranglés, comme eux, par la même crise du capitalisme et la politique du gouvernement. Ils pourraient ainsi leur offrir une politique et, de cette façon, par un mouvement « de tous ensemble », créer avec eux les conditions propices pour imposer les changements nécessaires.
Toute cette mobilisation des opprimés du pays contre la politique du gouvernement devrait s’organiser autour d’un programme, d’une plate-forme revendicative, une sorte de plan d’urgence, d’intérêt public. Chaque syndicat, association, organisation participant à la riposte collective proposerait ses propres revendications. Celles-ci devraient être regroupées et discutées par l’ensemble des parties prenantes dans le but de dresser une plate-forme de revendications, qui comprendraient les exigences essentielles des masses laborieuses face à la cherté de la vie, dont les plus importantes, pouvant fédérer tout le monde, seraient, par exemple : la diminution drastique des salaires des dirigeants, à commencer par celui d’Idriss Déby Itno, dont personne ne sait combien il gagne, mais aussi celui des ministres, des députés, des responsables de l’armée, des gouverneurs, des préfets, sans oublier les hauts cadres des banques, des grosses entreprises, tant publiques que privées, une augmentation conséquente des salaires des travailleurs, tant du privé que du public, du SMIC, des allocations de chômage, des pensions de retraite, des bourses, instituées comme un droit pour tout étudiant, l’interdiction des licenciements dans le public comme dans le privé, l’embauche de tous les contractuels et des précaires, un emploi pour tous, une embauche massive donc dans les secteurs publics essentiels, l’Education, la Santé, notamment, mais aussi le Bâtiment, les Travaux Publics, en fonction des besoins des masses opprimées, un revenu minimum pour tous ceux qui ne bénéficient d’aucun emploi et d’aucune allocation, notamment les femmes et les mères isolées, un fonds de soutien aux personnes âgées ne bénéficiant d’aucune retraite, une baisse importante des prix des produits et des articles de première nécessité, de l’eau, de l’électricité, du pétrole, de l’essence, du gaz, une baisse importante des prix du transport, des impôts, des loyers, l’instauration de l’échelle mobile des salaires, - chaque fois que les prix des produits indispensables augmentent, les salaires font de même, ils augmentent aussi, proportionnellement -, la gratuité effective de l’éducation et des soins dans le public, la construction de logements sociaux, la défense et la jouissance des droits démocratiques élémentaires, de réunion, d’expression, d’organisation, de manifestation, sans aucune menace ni entrave de la part du pouvoir, la rupture du cordon ombilical qui lie exclusivement la presse publique, la radio, la télévision notamment, au pouvoir du MPS, en vue de l’émancipation des journalistes du joug de celui-ci et de l’instauration d’une expression libre de toutes les sensibilités au sein de l’ONRTV, etc…
Venue tardivement sur la scène de l’histoire, notre bourgeoisie, pleutre, poltronne, réduite au rôle de valet des puissances impérialistes, notamment de la France, n’est pas seulement condamnée à faillir socialement : elle est aussi incapable de réaliser ses propres tâches démocratiques, comme moderniser la société en la débarrassant des structures féodales, des mœurs rétrogrades, barbares, telle l’oppression de la femme notamment. Le comportement des autorités actuelles, s’accommodant de ces moeurs-là, les nourrissant, les alimentant même, le prouve amplement : il a fallu vingt-cinq ans à Idriss Déby Itno et ses partisans pour découvrir enfin que le mariage précoce une pratique ignoble que rien au monde ne pourrait justifier !
Par conséquent, c’est aussi aux travailleurs et autres opprimés en lutte qu’il appartient de se charger de ces tâches démocratiques-là et de les réaliser par leurs combats. Ainsi devraient-ils se battre également pour l’abolition des chefferies traditionnelles, ces structures féodales, anachroniques, sur lesquelles s’appuient toutes les dictatures en vue de leur maintien, la fin des tribunaux coutumiers, l’instauration d’une justice publique, moderne, unique pour tous, pour toutes les femmes et tous les hommes égaux en droit, une justice libérée des coutumes et autres considérations religieuses rétrogrades, la rupture des relations entre les pouvoirs publics et les associations religieuses, - la religion devant relever du domaine du privé et de l’associatif : elle n’a pas à se mêler des affaires publiques -, la fin de l’imposture de la langue arabe littéraire, érigée en langue nationale, sans qu’aucun critère, de quelque ordre que ce soit, ne le justifie (sans oublier que, d’une part, pour l’écrasante majorité des populations, y compris celles qui sont de religion musulmane, cette langue est aussi incompréhensible que le mandarin chinois, et que, d’autre part, la volonté de l’imposer artificiellement est ressentie par des larges couches des masses populaires comme une oppression), l’interdiction des espaces publics, - salles de conférence, télévision, radio et autres-, aux chefs religieux de tous les cultes, le contrôle stricte de toutes les universités et écoles religieuses, qui doivent être limitées, quelles qu’elles soient, une lutte hardie contre l’oppression de la femme comprenant l’interdiction de la dote, qui ressemble à un prix d’achat des filles, de la polygamie, - symbole officiel de l’oppression de la femme -, du mariage forcé, notamment sa forme barbare qui permet à un père de donner sa fille en aumône, tel un mouton, une révolution agraire profonde afin que les paysannes soient propriétaires des terres qu’elles travaillent, l’instauration d’un Code familial progressiste donnant aux femmes les mêmes droits que les hommes face à l’héritage, à la garde des enfants, au divorce, l’octroi d’une pension à la femme divorcée si c’est à elle qu’il revient de garder les enfants, l’interdiction de la coutume qui veut qu’une femme épouse, malgré elle, le frère de son mari défunt ou un membre de la famille de celui-ci, lui revenant ainsi tel n’importe quel objet dont il hérite, la parité totale dans toutes les institutions et secteurs publics, l’harmonisation des droits sur le lieu du travail : toute femme qui a le même diplôme ou remplit la même responsabilité qu’un homme doit avoir le même salaire que lui, l’abolition du port du voile dans les écoles, les lycées, les collèges, les universités, les lieux de travail, la mixité des femmes et des hommes, des filles et des garçons dans les lieux publics, la fermeture des centres de formation coraniques des femmes et leur transformation en centres de formation professionnelle destinés à fournir à celles-ci une spécialisation dans plusieurs domaines afin qu’elles aient une qualification en vue d’un métier, la création par l’Etat des crèches, des garderies pour détacher les femmes du lourd fardeau relatif à la maternité, mais aussi des maquis géants, des restaurants publics, dans les centres administratifs, les zones industrielles et dans tous quartiers des grandes villes, avec un personnel qualifié, où toutes les femmes et tous les hommes qui travaillent, tant dans le public que dans le privé, peuvent venir se restaurer grâce à des tickets payés par leurs employeurs, afin que les femmes s’émancipent des tâches ménagères, notamment du devoir de faire la cuisine, et consacrent leur temps libre à leur formation culturelle ou à leurs loisirs, une vaste campagne d’alphabétisation des adultes et des jeunes, déscolarisés, femmes et hommes, filles et garçons, en vue de leur permettre d’être autonomes et capables de remplir les tâches administratives élémentaires, une vaste propagande contre toute forme d’obscurantisme, contre l’influence réactionnaire de toutes les religions, musulmane, chrétienne, animiste, qui obscurcissent la conscience des travailleurs, prêchent le culte du chef, l’adaptation à l’ordre établi, avec ses inégalités, ses injustices, sous prétexte que ce serait le fait du destin, mais aussi contre l’ethnisme, le tribalisme, le régionalisme, la misogynie, la division en castes, toutes ces choses dont les politiciens bourgeois se servent pour opposer les opprimés les uns aux autres, pour les diviser, afin de mieux les dominer, pour les empêcher de prendre conscience du fait qu’ils constituent une classe à part, la classe ouvrière, qu’ils ont les mêmes intérêts, quelles que soient leur culture, leur religion, leur région ou leur nation, parce qu’ils subissent tous la même exploitation, les mêmes maladies, les mêmes injustices, les mêmes inégalités, la même dictature, imposés par le même Etat et le même patronat, au service des riches, etc…
Le plan d’urgence d’intérêt public devrait donc être l’expression des attentes communes et essentielles des masses populaires, le reflet de toutes leurs revendications vitales, en passant en revue tous les problèmes fondamentaux qu’elles rencontrent, sans oublier les autres aspects de la vie sociale et économique marquée par des injustices de tout genre, des abus, des arrestations arbitraires, des assassinats, le pillage des biens publics, la corruption, des humiliations de toutes sortes, des ignominies policières et administratives, qui sont devenus des mœurs courantes depuis bientôt vingt-six ans que le pays se trouve placé sous la férule de la dictature du MPS.
Enfin, pour réaliser ce plan d’urgence, il serait vital que les travailleurs en aient les moyens pratiques. Pour ce faire, la seule façon efficace, c’est que, s’ils font reculer la dictature de Déby, ils devraient aussi supprimer le secret bancaire, tant des comptes publics que privés, afin que les masses populaires aient une idée exacte du patrimoine national, dans le but de savoir notamment combien d’argent est entré dans les caisses de l’Etat depuis l’exploitation du pétrole. Comment a-t-il été dépensé ? Combien en reste-t-il ? Qui a quoi ? On devrait faire la même chose pour les autres comptes des services de l’Etat, du Trésor public, des banques, des assurances et des secteurs industriels importants, comme la Coton Tchad. Il s’agirait de tout mettre sur la place publique afin que les masses opprimées sachent ainsi ce qui s’est passé dans la gestion des fiances de l’Etat, mais qu’elles voient, constatent aussi que si le pouvoir de Déby décide de leur imposer ses mesures et de les étrangler avec la misère, c’est parce qu’il en fait le choix et non parce qu’il n’existe pas de moyens dans le pays ! Par ailleurs, les travailleurs auraient également intérêt à soumettre à leur contrôle et celui de population les grandes entreprises du pays afin de suivre de l’intérieur la façon dont elles fonctionnent.
Ces deux opérations, qu’on pourrait facilement réaliser, grâce aux travailleurs qui contrôlent les circuits financiers, dans les banques, les assurances, les trésors publics, mais aussi à ceux des autres secteurs économiques importants, permettraient, d’une part, d’avoir une idée exacte de la situation économique du pays, et, d’autre part, les moyens nécessaires pour réaliser les aspirations populaires. Les travailleurs pourraient ainsi défendre aussi les intérêts des opprimés, savoir comment les dirigeants dilapident les biens publics, dire qui a détourné quoi, en exproprier les responsables, éviter le gaspillage, le vol, dont parle Idriss Déby Itno, à propos son propre entourage.
Seul donc ce type de mesures pourrait permettre de réaliser le plan d’urgence et d’empêcher la déchéance dans laquelle la politique des dirigeants du MPS enfonce la société. A la politique néfaste, criminelle de Déby, Pahimi et autres Kabadi, les travailleurs devraient opposer la leur propre, une politique qui mette en avant des objectifs sur lesquels tous les travailleurs et les masses opprimées peuvent être d'accord, car elle reflète les intérêts communs de tous : le droit au travail pour tous, le droit à un salaire correct, le droit de se nourrir, de se loger convenablement, le droit à la santé, aux soins, le droit de donner une culture moderne à leurs enfants, le droit à la vie !
Voilà la perspective qu’il conviendrait de discuter partout en vue d’une riposte collective du monde du travail et une mobilisation de l’ensemble des opprimés contre la politique du pouvoir. Les discussions devraient s’accompagner de la tenue d’assemblées générales décidant des revendications des uns et des autres, mais aussi de la création de comités de liaisons entre travailleurs du public et du privé, entre une entreprise d’un secteur donné et une autre spécialisée dans une activité différente, entre organisations syndicales et celles des femmes, des jeunes, des chômeurs ou de défense des droits de l’homme, afin d’aboutir à une coordination tant locale que nationale des luttes, dans le but affiché de créer un rapport des forces qui, par le biais de la grève générale, soit à même de mettre un coup d’arrêt à la politique du pouvoir, de faire plier Idriss Déby Itno et ses proches partisans, voire de les reléguer dans la poubelle de l’Histoire, auprès des Ben Ali, Moubarak, Blaise Compaoré et autres!
Ali Mohamed Abali Marangabi
Abali-icho@yahoo.fr