15 Juin 2017
Le nouveau président français, Emmanuel Macron, promet une relation fondée sur le respect et le pragmatisme entre la France et l’Afrique. Pourtant, d’aucuns doutent de sa volonté politique de mettre fin à la Françafrique. Thomas Borrel, porte-parole de l’association « Survie », un mouvement de la société civile qui lutte depuis plusieurs années contre ce système, est de ceux-là. Il a accepté de répondre aux questions de Robert Kongo, notre correspondant en France.
Avec l’élection d’Emmanuel Macron à la tête de la France, assistera-t-on à la fin de la Françafrique ?
Pour le moment, nous sommes inquiets sur les premiers signaux envoyés. Il est bon de noter que la Françafrique, c’est plusieurs choses. C’est ce que l’association Survie a contribué à faire connaître, notamment en dénonçant les pratiques mafieuses mais aussi l’élaboration et la mise en œuvre des mécanismes institutionnels, dont l’aide au développement et certains projets de coopération qui peuvent être mis en place, y compris la coopération militaire et policière. Des pratiques mafieuses sont les plus connues. Sous François Hollande, il y a eu une tentative de faire croire à l’opinion que la Françafrique était terminée parce que les pratiques maffieuses étaient devenues moins visibles. Mais le fonctionnement des mécanismes institutionnels ont continué normalement et ont été considérablement renforcés. Exemple : les grandes opérations militaires sont toujours en cours en Afrique, notamment l’opération Barkhane au Sahel et les suites de l’opération Sangaris en République centrafricaine. Depuis une dizaine d’années, c’est le même refrain que l’on entend : « Mettre fin à la Françafrique ». C’était une promesse lancée par Nicolas Sarkozy et reprise ensuite par François Hollande. Nous l’avons dénoncé. Et cette manière de faire de la politique semble se poursuivre avec l’élection d’Emmanuel Macron. Dans son discours de rénovation de la vie politique, parce que cette prétendue « mue idéologique » concerne aussi les principales questions de politique internationale, il n y a pas de remise en cause du fonctionnement des mécanismes institutionnels. Nous l’avons bien vu lors de son premier déplacement à Gao au Mali. Il a même annoncé son désir d’accroître et d’accélérer cette politique.
Pourtant, il promet une relation fondée sur le respect et le pragmatisme avec l’Afrique. Vous n’y croyez donc pas ?
C’est ce beau discours des relations équilibrées, de partenariat d’égal à égal avec les pays africains qu’avaient tenu en leur temps Nicolas Sarkozy et François Hollande. Derrière le discours de rénovation de la vie politique d’Emmanuel Macron, on retrouve les mêmes éléments de langage tenus dans le discours politique français depuis une dizaine d’années. C’est donc largement insuffisant pour nous rassurer.
Sur le plan économique, le principe de partenariat d’égal à égal entre la France et l’Afrique est-il possible, selon vous ?
Evidemment, ce partenariat est possible. Mais il nécessite un profond changement de politique. Déjà pour qu’il y ait un partenariat d’égal à égal, il faudrait mettre fin à un mécanisme de domination monétaire, qui est celui du Franc CFA, sur une quinzaine de pays en Afrique de l’Ouest, en Afrique centrale et le Comore. On ne peut prétendre à une relation économique d’égal à égal tant que ces pays seront encore sous tutelle monétaire française. On peut multiplier des exemples, notamment en matière entrepreneuriale où les relations franco-africaines sont particulièrement déséquilibrées.
En matière de démocratie, la France aide-t-elle suffisamment les pays africains ?
Ce sont les contre-pouvoirs qui font vivre la démocratie. Or, il y a absence de contre-pouvoirs en Afrique. Bien entendu, la France n’est pas pleinement responsable de cet état de fait, mais on est en droit de s’interroger sur sa part de responsabilité sur ce qui se passe en Afrique en matière de démocratie. Je veux dire par là qu’elle doit cesser de soutenir, par des petites phrases, des déclarations complaisantes, des régimes qui répriment des opposants. Les propos tenus par François Hollande, qui a dit que le président Denis Sassou-Nguesso du Congo-Brazzaville avait le droit de consulter son peuple au moment où il organisait un référendum bidon dans son pays, sont assez illustratifs de ce type de soutien. Ce n’est pas de cette manière que la France pourrait aider les africains à faire progresser la démocratie chez eux.
Et en matière de défense ?
En matière de défense, la France a encore des militaires et policiers dépêchés auprès de ces régimes pour former des forces de l’ordre dans ces pays. Ils participent de facto dans l’appareil répressif mis en place par ces régimes dictatoriaux. Certes, quand il y a des violences, ce ne sont pas des militaires et policiers français qui tirent directement sur les manifestants, mais ils sont au plus proche du lieu du pouvoir et de commandement dans ces Etats qui usent de répression pour se faire obéir.
L’association Survie a-t-elle tenté d’entreprendre une quelconque démarche auprès des autorités françaises pour mettre fin à cette coopération militaire et policière avec les régimes qui bafouent les droits humains en Afrique ?
C’est évidemment l’une des revendications que nous essayons d’avancer. Pour l’instant, elle n’a pas été entendue par Emmanuel Macron. Nous n’avons aucun signal dans ce sens.
Peut-on conclure qu’avec Emmanuel Macron, la Françafrique continue ?
Oui. Car pour le moment, sa démarche s’inscrit très clairement dans la continuité des politiques menées par ses prédécesseurs. Mais, je ne dis pas qu’il faille rien attendre de l’élection d’Emmanuel Macron pour ce qui concerne les relations entre la France et l’Afrique. Peut-être que ça bougera. Notre souhait est que les choses évoluent dans les mois et années à venir. Dans l’intérêt de la France et de l’Afrique. Nous allons travailler dans ce sens.