Après avoir été cité dans les Paradise Papers, le géant minier Glencore est aujourd’hui au cœur d’une autre affaire, accusé de déstabiliser la région du Sahel. Outre des soupçons de corruption avec le pouvoir politique du Congo-Kinshasa, où Glencore s’est emparé de deux des mines de cuivre et de cobalt les plus rentables de la planète, la multinationale, épaulée par des banques européennes de premier plan, a refusé de négocier un emprunt toxique fourni au Tchad, provoquant ainsi la communauté internationale et fragilisant la sécurité au Sahel, où Boko Haram sévit toujours. Enquête.
Tout commence en 2014. Le Tchad, alors jeune état pétrolier ayant dû recourir à de grands acteurs de l’énergie pour exploiter son or noir, décide de reprendre en main la production de son pétrole et de faire l’acquisition de 25 % d’un des champs pétroliers du pays. La décision vise à faire bénéficier son budget national de revenus à long terme. Pour ce faire, il passe un contrat avec le géant du négoce de matières premières Glencore pour 1,5 milliard de dollars. Glencore devient alors un partenaire stratégique du Tchad. A l’époque, le contrat entre le géant minier et le Tchad semble être, selon la presse économique, à l’avantage du pays africain : dans cette opération, alors que le baril de pétrole culmine à plus de 100 dollars, le Tchad ne s’endette pas, mais accepte de partager avec Glencore sa production future, le pays ayant étalé ses remboursements en cargaison de pétrole brut sur quatre années.
Glencore a mis la main sur l’exclusivité du pétrole tchadien
A l’époque, les perspectives sont alléchantes : le Tchad espère empocher 500 millions de dollars d’excédents entre 2014 et 2018 avec d’encaisser, à partir de 2018, l’intégralité des 25 % de la production de brut qui reviendraient au Tchad ainsi que 12,5 % de royalties sur la production. En effet, le contrat prévoyait que l’Etat devienne propriétaire de 25 % des parts de Chevron dans les consortium ESSO et qu’il payerait cet actif avec les equity qu’il recevrait. Mais dans les garanties, le Tchad, comme les banques partenaires de Glencore, découvriront rapidement qu’il a été prévu que le sous-jacent concerne aussi toutes les royalties qu’il touche sur chaque baril produit dans le pays et ses revenus du champ. Autrement dit, Glencore a ainsi mis la main sur l’exclusivité du pétrole tchadien qu’il récupère en bout de pipeline à Kribi au Cameroun.
Ce fameux contrat, en cours de renégociation, est passé à la veille de la chute des prix du pétrole. Le baril était passé de 114 dollars en juin 2014 à 30 dollars début 2016. Or, rien n’a été prévu au contrat pour protéger le Tchad contre ce type d’aléas externes et imprévisibles, alors que l’or noir représente 70 % des recettes budgétaires du pays et que le Tchad aurait remboursé sa dette à Glencore en quelques mois si le prix du baril était resté à son maximum. Glencore et ses banques partenaires n’ont rien prévu pour parer à la chute de l’or noir qui a poussé le Tchad vers la récession. En début de mois, à Paris, les deux parties ont tenté de négocier durant une semaine. Sans succès. D’un côté, le Tchad souhaite revoir les conditions du contrat pour les adapter à sa situation actuelle. L’État doit en effet dégager des marges de manœuvre financières drastiques pour poursuivre son programme FMI — qui prévoit une aide de 310 millions de dollars sur trois ans. La communauté internationale le soutient, c’est en effet l’armée tchadienne qui est au front pour contenir et combattre Boko Aram au Sahel. De l’autre côté de la table se trouvent Glencore et des banques partenaires de premier plan, car la multinationale, très présente en Afrique, n’a pas financé ce deal seule.
La direction de Glencore « ne souhaite faire aucun commentaire »
Ensemble, Glencore et ses alliés font la sourde oreille aux demandes du Tchad, alignées sur celles du FMI, qui révise chaque semestre la situation budgétaire du pays. Ils font mine d’ignorer les efforts de toutes les autres parties et se voient d’ailleurs comme les seuls créanciers à ne pas faire un effort, ignorant tout ce que font le FMI et d’autres pour ce pays stratégique dans la lutte pour la paix. Selon nos informations, Glencore et ses banquiers feraient durer les négociations sur des points jugés inappropriés par le Tchad. Un jeu dangereux : bien plus qu’un deal pétrolier, c’est la sécurité internationale qui est en jeu, au regard de la position du Tchad et de son armée qui ne peut souffrir de problématiques financières. Les rentrées dans les caisses de l’Etat sont en effet très faibles, la quasi totalité des ventes du pétrole tchadien servant directement à rembourser le prêt de près de 2 milliards d’euros contracté avec Glencore. Jointe par téléphone, la direction de Glencore « ne souhaite faire aucun commentaire » sur l’avancée de ce dossier.
Le Tchad espère maintenant régler cette affaire en exploitant les failles du contrat passé avec Glencore. Ce dernier s’apparenterait de fait à un emprunt toxique. Il comporterait des clauses léonines et d’autres illégales, selon plusieurs juristes. En outre, les ressources pétrolières sont là pour des années d’exploitation et les prix du pétrole remontent. « En s’attribuant 100 % des ressources pétrolières via une clause léonine du contrat, Glencore a commis une erreur. Il s’est arrogé une partie de la souveraineté du pays et a tout simplement enfreint des lois rendant son contrat illégal », explique une source proche du dossier. L’enjeu de cette négociation dépasse d’ailleurs Glencore : la sécurité dans la région du Sahel pourrait rapidement prendre le dessus sur les intérêts financiers de la multinationale minière.