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27 Octobre 2019
"Entre la République et la famille, j'ai choisi la République." s'est ainsi justifié sur RFI le Président Idriss Deby sur la mort (assassinat) de son ex Ministre de la Défense nationale et Compagnon de Bamina (chef d'état-major général du MPS), feu Colonel Abbas Koty Yacoub qu'il a accusé de fomenter un coup d'état militaire contre lui.
Ce reportage est l'un des rares où on peut voir feu le Colonel Abbas Koty Yacoub en fonction. Le régime Deby s'est acharné pour effacer son nom de la mémoire collective du MPS, pourtant célébrée avec fracas chaque 1er décembre de l'année.
Pour beaucoup de jeunes tchadiens âgés de 30 ans aujourd'hui et qui représentent 80% des actifs sur les réseaux sociaux, le nom du Colonel Abbas Koty Yacoub n'évoque pas beaucoup de souvenirs. Et pourtant, l'homme a fait partie du trio qui a dirigé le MPS des confins du Darfour soudanais jusqu'à son entrée triomphale à N'djaména le 1er décembre 1990. Feu Abbas Koty Yacoub a joué un rôle de premier rang dans la conquête du pouvoir par le MPS. Son assassinat est intervenu le 22 octobre 1993. En ce jour anniversaire, il me paraît important de revenir sur ce qui s'est passé il y a exactement 26 ans.
Pour faire un rapide rappel historique, on dira qu'Abbas Koty Yacoub a été un Officier de formation, il est sorti de l'école des officiers interarmes de N'djaména, promotion 1978. Haut cadre militaire des FAP de l'ex président M. Goukouni Weddeye dont il a été son Directeur cabinet militaire de 1979 à juin 1982. Exilé au Nigéria à la chute du régime du GUNT, il rallia le régime Habré en 1985. Il fut intégré et monta rapidement en grades dans la mesure où il avait beaucoup de parents au sein des FAN. Feu Hissein Koty, son grand-frère, était un des plus fidèles compagnons du Président Habré. Pour preuve : Hissein Koty n'a pas rejoint le MPS au Darfour et à la chute du régime Habré, il s'est exilé en France puis en Suède jusqu'à son décès intervenu le 2 février 2013. Paix à son âme.
Lorsque le groupe du 1er avril 1989 a fait défection, le Lieutenant-colonel Abbas Koty Yacoub était en poste à l'ambassade du Tchad à Khartoum comme Chargé des Affaires. A l'instar de Hassane Fadoul Kitir qui était lui à l'ambassade du Tchad à Bagdad en Irak, feu Moïse Kété qui était chargé des affaires militaires à l'ambassade du Tchad à Paris et bien d'autres, Abbas Koty aussi rejoindra le maquis d'Idriss Deby au Darfour et jouera un rôle déterminant au front surtout dans la mobilisation des combattants Zaghawa.
Le pouvoir qui s'installa à N'djaména en ce début du mois de décembre 1990 présentait trois têtes :
1-- Idriss Deby est le Président de la République. Il est l'homme des français et de Khadafi.
2-- Maldom Bada Abbas, Vice-président du MPS, est le tout puissant ministre de l'intérieur avec résidence au palais de l'ex Président HH.
3-- Abbas Koty Yacoub, il tient de deux mains l'état-major général des armées et pense avoir une partie du pouvoir, surtout les privilèges et la renommée que procure ce poste stratégique de Comchef comme ce fut le cas au temps de feu Commandant Hassane Djamous sous la présidence d'Hissein Habré.
Ce trio ne célébrera pas ensemble le premier anniversaire du MPS. Car Idriss Deby et Abbas Koty s'allieront pour écarter définitivement de la gestion du pouvoir le Colonel Maldom Bada Abbas, Ministre de l'intérieur, Vice-président du MPS. C'était le 13 octobre 1991. Voir l'article qui lui a été consacré.
Depuis cette date, le pouvoir se conjugue désormais entre Idriss Deby et Abbas Koty qui était déjà passé de l'état-major au ministère de la Défense en mai 1991. Chacun des deux hommes essaie de peser de son poids sur la balance du contrôle du pouvoir.
Idriss Deby monte rapidement en puissance grâce à un encadrement de la France qui, en plus de l'apport des forces de l'opération Épervier et des Agents de la DGSE présent à N'djaména, a dépêché des coopérants techniques à la Douane, au ministère des finances, à la présidence de la République, etc. Les ralliements des anciens hauts gradés des FANT et autres dignitaires de l'UNIR (Mahamat Nouri, Djimet Togou, Korom Ahmed, Ahmed Allami, Alingué, Khalil d'Abzac, Kassiré, Béral Moïse,...) se font du côté de Deby avec qui il y a plus d'affinités et de vécu.
Très peu resauté sur le plan politique, Abbas Koty est très rapidement mis en minorité. Cependant, il garde son aura auprès des militaires zaghawa. Mais en décembre 1991, il est débarqué du ministère de la Défense et nommé ministre des Travaux publics et du Transport. L'isolement de sa base militaire se précise d'avantage. Son profil ne plait pas non plus aux français qui lui collent injustement l'étiquette d'islamiste proche du Soudan de Hassane el Tourabi. Ils le jugent aussi peu crédible pour mener la réforme de l'armée, pléthorique et coûteuse.
En revanche, à la Présidence de la République, Idriss Deby s'entoure exclusivement de ses proches politiques et militaires, de ses parents notamment les frères Erdimi qui ont joué un rôle néfaste pour la consolidation de l'unité nationale et la mise en place d'un système prédateur de déniers publics dont les conséquences sont toujours d'actualité.
Dès lors, les choses se dégradent progressivement entre le Président de la République et son Ministre des Travaux publics et du Transport. Car il y a une purge au sein du commandement militaire qui ne trompe personne. C'est ainsi que le 18 juin 1992, des combats éclatèrent vers Massakory entre des hommes proches de l'ancien Comchef Abbas Koty et la Garde Républicaine (GR) d'Idriss Deby. Abbas Koty est accusé de vouloir fomenter un coup d'Etat contre Idriss Deby. Il parvient à quitter le Tchad via le Cameroun avec certains proches dont Bichara Idriss Haggar, Bichara Digui qui étaient des membres du bureau politique du RDP de feu Lol Mahamat Choua et quelques baroudeurs du MPS.
Très rapidement, Abbas Koty et ses camarades annoncent la création d'un mouvement politico-militaire en l'occurrence le Conseil National du Redressement (CNR). C'était le 21 juin 1992. Ils s'installent dans leur ancien sanctuaire du MPS au Darfour. Mais cette fois-ci c'est sans compter sur le soutien du Soudan, de la Libye et surtout pas de la France qui n'a jamais gobé le style Koty. Impossible donc dans ces conditions de prospérer.
Une année après l'entrée en dissidence contre le régime MPS, Khadafi entre en action et propose sa "médiation" entre les deux frères ennemis Deby et Koty. Et le 15 août 1993, un accord de paix a été signé entre le CNR et le gouvernement d'Idriss Deby. L'accord prévoit l'intégration des combattants du CNR au sein de l'ANT et la transformation du CNR en parti politique. Oui, feu Colonel Abbas Koty Yacoub et son groupe ne veulent plus réintégrer le MPS, ils préfèrent créer un parti politique d'opposition. Car la mission première du MPS c'était justement d'instaurer la démocratie et les libertés au Tchad.
L'accord de paix signé à Tripoli ne présentait aucune garantie réelle pour son application et surtout pour la sécurité des responsables du CNR. Il ne tenait qu'à la parole du Guide libyen feu Mouhammar Khadafi. C'est donc presque contraints que le Colonel Abbas Koty, Bichara Digui Arou et deux gardes de corps vont rentrer à N'djaména à bord d'un avion libyen.
A N'djaména, des conciliabules sont aussitôt engagés pour ramener le Colonel Abbas Koty et son groupe à la maison, le MPS. Mais ce fut sans succès, le CNR veut se transformer en parti politique et apporter sa modeste conttribution dans la consolidation de la jeune démocratie tchadienne.
C'est ainsi que le 16 octobre 1993, un deuxième accord est signé à N'djaména prévoyant la transformation du CNR en parti politique. Et moins d'une semaine après, le 22 octobre 1993, le Colonel Abbas Koty Yacoub et ses deux gardes de corps ont été assassinés à son domicile par la Garde Républicaine. C'était un vendredi, juste après la prière communautaire auquelle ils ont pris part. Leurs assassins les guetaient depuis la mosquée.
Le corps sans vie du Colonel Abbas Koty Yacoub sera exposé dans la cour du commissariat central de N'djaména où plusieurs barons du MPS défileront devant son corps criblé de balles. Idriss Deby se présentera aussi à son tour vers 17h30, reste pensif un moment devant le corps de son ancien compagnon, puis écrasa son mégot de cigarette à côté et disparait. Le corps de feu Colonel Abbas Koty est alors emporté à une destination inconnue jusque ce jour. Confiscation de son corps par le régime donc on ne sait pas où a été enterré.
A Cela s’ajoutent entre autres ; Interdiction par le régime d'ouvrir une information judiciaire contre x demandé par la famille Demandée.
Interdiction par Deby en personne d’entériner son parti politique CNR légalisé par le CNT et le Ministère de l'intérieur
Les frères Erdimi doivent dire la vérité sur cet assassinat
Quand à Bichara Digui Arou, il sera arrêté et emprisonné durant des longs mois. Libéré, il n'a jamais cessé, malgré les mises en garde et les menaces de mort, de dénoncer la traitrise d'Idriss Deby et d'appeler les tchadiens à la révolte contre sa dictature. Bichara Digui Arou sera assassiné à son tour un vendredi 16 octobre 1996 par deux hommes qui ont mitraillé sa voiture non loin de son domicile à la rue de 40m. Paix à son âme.
Youssouf Ramadane
Entrepreneur Bâtiment - paysagiste
N'djaména - Tchad