7 Mai 2020
France : Djibrine Khirachi « le Tchad est touché par une calamité depuis que Deby est au pouvoir »
Opposant en exil de longue durée au régime autocratique d’Idriss Deby au Tchad, Djibrine Khirachi, ancien coordonnateur des Patriotes de la Diaspora Tchadienne de France (PDTF), plusieurs fois, responsables dans des organisations de l’opposition hostile au pouvoir tchadien, a rompu le silence pour analyser avec de lucidité et du recul la situation sociopolitique et militaire du pays.
Il a accordé un entretien à Makaila.fr où il donne les raisons de son départ de la coordination des Patriotes de la Diaspora Tchadienne de France et réaffirme son ancrage au sein de l’opposition tchadienne pour continuer à combattre le régime en place au Tchad.
Makaila.fr : Bonjour Djibrine Khirarchi, vous êtes un opposant de longue date au régime d’Idriss Deby et vous avez même était le coordonnateur des Patriotes de la Diaspora Tchadienne de France (PTDF), votre démission a fait couler beaucoup d’encre et de salive. Pourquoi ?
Djibrine Khirachi : bonjour Makaila et merci de m'avoir donné l'occasion de m'exprimer sur la situation politique de mon pays. Oui, j'étais le coordonnateur des Patriotes de la diaspora Tchadienne en France mais avant cela j'étais le chargé aux relations extérieures du mouvement pour la démocratie et le développement ( M.D.D ) , au sein du bureau dirigé par Issa Faki, après le départ de Moussa Medéla , puis en 2004 j'étais le porte-parole de la Convention Citoyenne pour le Tchad.
Lors de la résurgence de la rébellion ou résistance Nationale au Darfour, en 2006 jusqu'à nos jours, je suis militant puis secrétaire chargé de l'administration du Conseil d'Action Révolutionnaire ( C.A.R), dirigé par Dr Albissaty Saleh. De même, j'étais militant syndical à la Confédération Estudiantine à l'université, ici en France... Quant aux Patriotes de la diaspora, j’ai répondu aux sollicitations d’un certain nombre des camarades afin d’apporter ma contribution au maintien de la flamme de la lutte depuis la France.
J’étais alors élu pour une période de 6 mois. Après la fin du mandat, j’ai voulu rendre le tablier mais les camarades m’ont demandé de patienter. Ce qui fit que j’étais resté 18 mois à cause du fait qu’un remplaçant n’a pas été trouvé aussitôt.
Mais après avoir constaté une odeur qui ne m’a pas plu et à cause de la tergiversation , alors j’ai décidé de démissionner avant même que la date de mon remplacement ne soit retenue en public et d'ailleurs je ne pourrai que faire ainsi pour me conformer aux textes . Car après avoir dépassé trois fois le mandat légal, je ne peux que démissionner pour rendre le tablier et c'est normal , je ne comprends pas les agitations. Je dois redire que je n’ai jamais voulu rester aussi longtemps ; le renouvellement des hommes dans une structure et la responsabilisation des jeunes en France contre le régime actuel est un crédo pour moi.
Mon cher Makaila, il est vrai que beaucoup des jeunes voudraient me voir encore à la tête de la coordination mais personnellement je n’en veux plus. Sincèrement, je ne peux pas revenir à la coordination mais comme Je l'avais signalé dans ma lettre de démission, je suis toujours disposé pour apporter ma contribution aux patriotes sincèrement engagés pour combattre le régime mafieux de N'Djamèna.
Makaila.fr : Quel regard portez-vous sur la lutte que mène par les forces vives en exil ?
Djibrine Khirachi : Il n'y a pas des forces vives très actives en permanences en exil, mais par contre il y'a des associations communautaires, culturelles, qui n'ont pas d'ailleurs les moyens de leurs ambitions et sont souvent marginalisées par les autorités consulaires.
Quant aux actions des acteurs des partis politiques , qui se retrouvent à l'extérieur du pays , les Etats qui entretiennent des relations diplomatiques avec le Tchad, n’acceptent pas qu'une formation politique puisse s'organiser à partir de leurs sols, et mener des activés politiques à l'encontre du régime de Deby bien que ces Etats connaissent la nature du régime de Deby. Pour preuve, un opposant d'un régime dictatorial en Afrique ne peut avoir la liberté d'expression sauf s'il se trouve réfugier dans un des pays de grande démocratie. Ce n’est pas possible en Afrique.
Par ailleurs j'avoue quant aux partis politiques à l'intérieur et la société civile, je les trouve comme des marionnettes et sont trop amorphes et accommodant dans leurs actions avec le régime. Ils ne tiennent jamais rigueur au régime d'où malheureusement , on constate qu'ils ne sont pas capables de mobiliser une population comme la nôtre désabusée depuis des années , alors qu'il y'a des raisons à ramasser à la pelle pour mobiliser la population contre l'injustice sociale au Tchad mais bizarrement on est habitué à entendre toujours les mêmes chansons , les mêmes lamentations d'impuissance Deby ceci Deby cela et cela dure depuis 30 ans.
Monsieur Makaila, 30 ans de pouvoir et une existence d' opposition mais rien ne bouge politiquement si ce n'est de pire en pire .
Comment expliquer si ce n'est pas un amateurisme de la part de ces Hommes politiques de l'intérieur ? Il m'arrive dans certaines situations , je me dis, est-ce qu'ils ne sont pas en train de cautionner la mal gouvernance au Tchad, ne sont-ils pas des traîtres ces hommes ? enfin bref l'opposition de l'intérieure n'est pas à la hauteur et trop amateur à les entendre de fois ça donne la nausée et Deby a un boulevard devant lui pour avancer dans sa politique destructrice.
Quant aux politico-militaires, je pense qu'il n'y aura pas une occasion comme celle de Darfour mais il sert rien de revenir dessus car nous connaissons tous comment c'était fini ! Toutefois, quand on voit ce ressaisissement de la jeunesse ces dernières années, il est légitime de penser quelque chose a changé positivement dans les mentalités et l’avenir nous édifiera.
Makaila.fr : Comment analysez-vous les dissensions qui minent les politico-militaires qui ne parviennent pas à constituer une véritable coalition pour faire face au régime tchadien ?
Djibrine Khirachi : Il faut le dire, il y'a trop des méfiances entres les acteurs politiques ; chose naturelle en politique mais chez nous elle cause beaucoup des handicaps à la lutte. il nous faut une formule magique pour donner une assurance collective dans nos actions. On peut comprendre la méfiance mais elle ne se justifie pas souvent car elle est devenue schizophrénique. Les leaders politicomilitaires n'ont pas compris ou feignent de ne pas comprendre l'avantage d'avoir tous les fils du Tchad au sein d'une même coalition. Mais je suis optimiste .
Makaila.fr : Croyez-vous encore à la lutte armée au regard des échecs successifs des politico-militaires ?
Djibrine Khirachii : Mais y a-t-il un autre choix ? la lutte armée est légitimée par notre constitution en cas de confiscation du pouvoir par la force et Deby a confisqué le pouvoir par la force. Il a armé son régime et organise des parodies des élections depuis 30 ans dont il le gagne à chaque fois. Déby est au pouvoir par la force ,on ne peut pas dire autrement . Je crois profondément que Deby ne partira pas par les élections. C’est un pouvoir clanique et hégémonique . J’ai l'intime conviction que Deby ne quittera le pouvoir que par une descente massive de Tchadiens et tchadiennes dans la rue ; chose je souhaite de tout cœur ou par la voie des armes. Autrement, il ne faut pas se faire des illusions.
Makaila.fr : Au niveau intérieur, ni l’opposition démocratique ni la société civile n’arrivent à susciter l’espoir attendu par le peuple tchadien. Quel est le problème selon vous ?
Djibrine Khirachi : M Makaila, je l'ai dit ci haut à vrai dire je trouve que l'opposition de l'intérieur actuelle n'est pas à la hauteur malgré les multiples défaillance du régime, bref.
J'ai l'habitude de dire que le Tchad est touché par une calamité depuis que Deby est au pouvoir . On dirait que la plupart des Tchadiens sont anesthésiés contre le bon sens.
Les gens dont jadis nos parents nous parlaient comme des symboles de bravoure, de générosité, d’insoumission à l’injustice en fin des hommes des valeurs ces autorisées morales et traditionnelles , sont devenus aujourd'hui méconnaissables. Aujourd'hui presque tous les hommes au Tchad sont sous la botte d'un seul individu au pouvoir appelé Idriss Deby , je constate amèrement que les gens veulent ressembler à leur bourreau drôlement , la mentalité a été pervertie à tel point que Deby est devenu un modèle. Tous le critique dans leurs temps de lucidité , et en même temps ils le décrivent comme un modèle, les hommes des valeurs sont devenus des objets rares sous le régime de Deb . Quel changement peut-on attendre ?
Makaila.fr : la lutte contre le terrorisme est exploitée par Idriss Deby pour se maintenir au pouvoir. Pourquoi la communauté internationale est-t-elle si complaisante à l’égard du régime de N’jaména ?
Djibrine Khirachi: c'est vrai que le terroriste Deby exploite le terrorisme comme fonds de commerce. En fait c’est ce sont ses mentors qui utilisent cette carte pour justifier leur soutien indéfectible. Et c’est dans leurs intérêts à eux, pas dans l’intérêt du Tchad et des tchadiens. En un mot, Deby est un vendu.
Makaila.fr : selon vous, quel sera le scénario envisageable pour que le peuple tchadien puisse se délivrer du régime actuel ?
Djibrine Khirachi : le scénario le plus sûr pour se débarrasser de Deby c'est la descente dans la rue de toutes les couches de la population ou une opposition armée patriotique convaincante qui le chassera manu-militari. Tout autre moyen sera peine perdue d’avance. Ne comptons surtout pas sur les élections.
Makaila.fr : si vous avez un appel à lancer au peuple tchadien. Qu’allez-vous dire ?
Djibrine Khirachi : Tchadiens, gardez votre dignité et persévérez. Vous allez vaincre le régime. Evitez de vous laisser entrainer ou tenter par la perversion ambiante, quelle que soit la durée, Deby partira. Le pouvoir n'est jamais éternel.
Je vous remercie MAKAILA encore une fois
Entretien réalisé par Makaila N’guebla