23 Août 2013
Affaire Habré : Une commission rogatoire aux accents de victoire
Par Henri Thulliez, Human Rights Watch
Ndjaména, 23 août 2013
Soixante et une victimes entendues et plusieurs témoins clés auditionnés. La première commission rogatoire sur le territoire tchadien des Chambres africaines extraordinaires en charge du dossier Hissène Habré a bel et bien commencé hier 22 août.
Retrouver la dignité
Ce n’est pas la première commission rogatoire : déjà en 2002 , le juge d’instruction belge et son équipe étaient venus au Tchad enquêter sur les mêmes crimes entraînant une véritable effervescence entre les victimes. A la fin de son instruction, le juge belge avait inculpé Hissène Habré et demandé son extradition. Devant le refus du Sénégal de répondre favorablement à cette requête, le jugement de Habré n’était resté qu’une illusion. Aujourd’hui, la créationpar le Sénégal et l’Union africaine des Chambres africaines extraordinaires a changé la donne.
« Je suis rassuré. Maintenant il n’y a plus d’obstacle à ce que Habré soit jugé », a déclaré Jean Noyoma, détenu sans motif dans les prisons de Hissène Habré pendant plus de 7 mois et torturé.
Pour les victimes tchadiennes, le scepticisme n’est plus de mise : tout est maintenant mis en oeuvre pour que leurs tortionnaires soient jugés. Plusieurs anciens complices du régime Habré font aujourd’hui l’objet de poursuites criminelles au Tchad, conséquence immédiate du travail des Chambres africaines extraordinaires. « La première chose qui me vient au cœur, après avoir été auditionné est la dignité de l’homme qui a été bafouée. Je n’avais pas d’honneur aux yeux des tortionnaires car ils étaient tout puissants, mais aujourd’hui, quand j’ai entendu qu’ils avaient été arrêtés, je me sens réconforté » a continué Jean.
Rassemblées en grand nombre devant le bâtiment de la police judiciaire de N’Djaména qu’elles ont pris d’assaut, les victimes, regroupées en associations, patientent avant d’être entendues par des officiers de police judiciaire. Chacune passe près d’une heure avec des officiers tchadiens et sénégalais. L’atmosphère est décontractée. Les victimes ont l’habitude de se retrouver, mais rarement ont-elles pu laisser apparaître leur joie d’être enfin prises au sérieux par les autorités.
Les treize longues années pendant lesquelles les rescapés et les victimes se sont battus pour leurs droits ont bien laissé des traces. De nombreux survivants sont morts sans goûter à la justice et les victimes sont restées en marge de la société.
La visite des juges d’instruction sera riche et méthodique : les sites à visiter et les victimes à entendre ne manquent pas. Pour l’heure, ils se chargent de s’entretenir avec témoins et victimes et de recueillir de précieuses informations.
David contre Goliath
Josué Doumassem a été torturé à l’arbatachar, cette torture consistant à attacher les bras aux pieds, derrière le dos, entraînant la paralysie des membres. Il fut puni en 1989, avec d’autres personnes, pour avoir rédigé des tracts dénonçant les dérives sanguinaires d’un régime autoritaire et les distribuait dans un lieu public. Il fut ensuite détenu à la « Piscine », cette ancienne piscine recouverte d’une chape de béton sous l’ère Habré pour être transformée en une prison aux conditions de détention inhumaines. Aujourd’hui, Josué ne peut s’empêcher d’exprimer sa joie : « C’était un combat entre David et Goliath. Mais grâce à Dieu, nous nous sommes unis pour dépasser le grand Habré ».
Rimarane Enock sort de sa première audition devant un officier avec le sourire : « J’ai le sentiment que tout ira bien. Je sais que le procès va commencer ». Ancien soldat de l’armée tchadienne dans les années 1980, il fut arrêté par d’autres soldats, mais il put s’échapper pour éviter d’être exécuté en sautant d’un véhicule en marche. Il s’est déboîté l’épaule et n’a jamais été soigné. Il garde encore de graves séquelles aujourd’hui : « Jusque là, toute la famille tchadienne a subi une épidémie de massacres. J’attends ce jugement pour faire la réconciliation des Tchadiens et pour que la colère et le mécontentement des victimes puissent enfin s’estomper ».
Les victimes me rappellent avec satisfaction qu’elles ont bien célébré l’arrestation de Habré, parfois en prenant un repas avec leurs amis et leurs familles « au-délà de ce que leurs bourses leur permettent ». A la sortie de son audition avec les officiers de police judiciaire, Timothé Daoussin a tenu à dire ceci : « Le jour où j’ai appris, sur RFI, que Habré avait été arrêté, je suis allé voir tous mes amis qui me prenaient pour un fou et me disaient que Habré ne serait jamais jugé, pour leur dire que j’avais eu raison ».
L’arrestation et l’inculpation de Habré ont été vécues comme une victoire ici au Tchad, même s’il ne s’agit que d’une étape de la longue justice internationale. « Ma joie ne sera totale que quand Habré sera condamné », affirme avec lucidité Jean.
Vu les sourires sur leur visage à cette phase de l’enquête, il est facile d’imaginer leur émotion lorsque Hissène Habré comparaîtra enfin devant les juges.