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2 Avril 2012
Lydie Béassemda : « Idriss Deby va-t-il accepter d’écrire une nouvelle page de l’histoire du Tchad en contribuant à la construction d’un Etat de droit véritable et d’une démocratie ? ».
Candidate aux élections législatives et communales, Lydie Béassemda fait partie de la nouvelle génération des femmes tchadiennes, qui milite dans un espace politique tchadien verrouillé démocratiquement par le régime d’Idriss Deby.
Activiste dans l’âme, Lydie Béassemda, est une jeune cadre, elle est ingénieur agroalimentaire et planificatrice de développement.
Elle fait son entrée en politique en 2010 et s’était présentée aux élections législatives au 3ème arrondissement de Ndjaména, soutenue par des jeunes.
Jeune, dynamique et joviale, Lydie, a répondu agréablement à notre interview exclusive et d’être la première femme tchadienne proche de l’opposition à se prononcer clairement sur la situation politique dramatique du Tchad.
Interview :
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Blogmak : Bonjour Mme Lydie ! Nos lecteurs aimeraient bien savoir qui êtes-vous.
Lydie Béassemda : Ingénieur agroalimentaire et planificatrice de développement, j’ai eu un parcours professionnel assez bien remplie : agent du ministère de la santé publique, chargée de programme au Groupe de Recherches Alternatives et de Monitoring du Projet Pétrole Tchad Cameroun, coordinatrice de l’ONG SWISSAID, Responsable du Programme Droits des Femmes à OXFAM. Je suis avant tout une activiste dans l’âme en ayant contribué de manière multiforme aux luttes menées par la société civile tchadienne durant la dernière décennie.
i)Observatrice au Soudan pour les élections présidentielles du Tchad en 2001, nous avons réussi avec les autres observateurs à faire annuler le vote de ladite circonscription électorale par un rapport circonstancié et assorti d’éléments objectifs ; ii)
Membre fondatrice du Groupe de Recherche Alternatives et de Monitoring du projet pétrole Tchad Cameroun GRAMPTC, j’ai œuvré de sorte que cette structure naissante en 2001, fasse entendre la voix des populations de la zone pétrolière du Bassin de Doba dont les droits étaient foulés aux pieds par les entreprises multinationales.
Parcourant villages et sites, je rapportais les situations de non-conformité sociale et environnementale associées aux activités desdites entreprises et participais à des études thématiques dont la finalité était le lobbying et le plaidoyer auprès des parties prenantes ; iii) Coordinatrice de l’ONG SWISSAID à partir de 2005, mon rôle a consisté à soutenir les organisations de la société civile à travers l’appui au renforcement des capacités organisationnelles et institutionnelles iv) Responsable du programme droits des femmes à Intermon Oxfam pendant une année, j’ai mobilisé d’importantes ressources pour la Cellule de Liaison et d’Information des Associations Féminines, une faîtière des organisations féminines tchadiennes. J’ai été comblé lorsque le financement de l’Union Européenne a été obtenu pour le compte de cette organisation et la mise en œuvre du projet relatif aux droits des femmes et les politiques énergétiques et environnementales. Des nuits de veillée au bureau et à la maison ont été comblées.
Devenue femme politique, je suis actuellement la Secrétaire Générale des Femmes de L’Opposition Démocratique. Mon défi principal est de construire le leadership politique des femmes tchadiennes et pourquoi pas africaines.
Blogmak : vous étiez candidate malheureuse aux dernières élections législatives. Pourriez-vous nous dire pourquoi, vous n’avez pas été élue députée ?
Lydie Béassemda : Entrée en politique en avril 2010, les élections législatives furent un apprentissage et un test pour moi. Je me trouvais en transition entre mon statut d’activiste vers celui de la femme politique. La circonscription du 3e Arrondissement où je me suis présentée me découvrait pour la première fois et a apprécié la campagne que nous avons menée avec des jeunes qui, de manière spontanée, avaient cru en moi. Nous avions fait une très belle campagne avec des moyens très modestes. Cependant, la corruption de l’électorat par l’un des candidats du MPS, en particulier M. Abba Djida, à travers la distribution de sacs de riz dans chaque ménage de la circonscription, est l’une des causes de notre échec. Dans un contexte de pauvreté où la population se sent désabusée par les élus précédents, chaque électeur fait le choix de profiter des avantages matériels associés à la campagne électorale et n’accorde pas d’importance au vote. Il est évident que nous n’avions pas les moyens des autres candidats en particulier, ceux du MPS qui avaient utilisé les moyens du contribuable tchadien pour la campagne. Par ailleurs, même si des ressources matérielles et financière ne nous avaient pas fait défaut, la sous CENI du 3e Arrondissement était voué à la cause du MPS. Cela, nous ne le comprendrons qu’à travers les résultats fantaisistes affichés à l’issu du scrutin.
Blogmak : Selon nos informations aux dernières municipalités, votre coalition a remporté au 3ème arrondissement de la ville de N’Djaména, mais la cour suprême a inversé les résultats en faveur du Mouvement Patriotique pour le Salut (MPS). Quel est votre sentiment ?
Lydie Béassemda : Les résultats des communales relatifs à la circonscription électorale du 3ème Arrondissement de la ville de N’Djaména proclamés par la CENI Nationale donnaient une répartition des sièges aux listes comme suit : Al Nassour (2), CPDC (4), Renaissance (11), VIVA RNDP (5). Inscrite en deuxième rang sur la liste, je suis donc élue du 3ème Arrondissement de la ville de N’Djaména. Ces résultats sont le fruit d’une lutte de 6 jours (22-27 février 2012) pendant lesquelles nous avons, nuit et jour, assuré la permanence devant le bureau de la Sous CENI de la Circonscription Electorale dont l’intention affichée était de falsifier les résultats pour attribuer les 23 sièges à pourvoir à la liste de la Renaissance.
Finalement c’est la CENI Nationale qui a compilé les résultats en présence de nos délégués. Alors, quelle ne fut pas notre surprise et notre indignation quand la Cour Suprême n’a pas confirmé ces résultats ! J’éprouve un sentiment profond de honte à l’égard des instances de la République chargé de dire le droit. Le collectif des conseillers des partis Al Nassour, CPDC, Renaissance, VIVA/RNDP qui tire sa légitimité des vrais résultats du scrutin, a adressé une lettre ouverte au Président de la République en tant que garant de la Magistrature pour lui demander de nous rétablir dans nos droits. Puisque ce collectif a la majorité, il m’a désignée maire de la Commune du 3e Arrondissement de la ville de N’Djaména. Rôle que je me prépare à assumer.
Blogmak : Vous êtes une des rares femmes tchadiennes politiquement dynamique et active. Que pensez-vous du régime actuel d’Idriss Déby Itno ?
Lydie Béassemda : Le régime de M. Idriss Deby Itno est celui qui a eu le plus de chance et toutes les opportunités pour faire du Tchad, un pays incontournable dans la sous-région, voire au-delà : deux décennies de gouvernance, des revenus additionnels générées par le pétrole, les investissements provenant de la coopération bilatérale et multilatérale, une pluralité de programmes et de projets exécutés. Loin d’avoir fait de notre pays une nation, les opportunités ont été transformées en privilèges pour les uns, et objet de frustration pour les autres. Actuellement, le régime aggrave la situation par des actes en flagrante contradiction avec les discours officiels : l’éminence grise est tuée progressivement et substituée par des personnes sans compétences, alors que les grands maux (baisse de niveau, mortalité maternelle et infantile, malnutrition, impunité, justice à deux vitesses, dégradation des écosystèmes) dont souffre le Tchad relèvent des faiblesses structurelles. Le tableau est si sombre que des personnes qui n’en peuvent plus craquent sur le plan psychologique et moral.
Blogmak : dites-nous, que doit faire la femme tchadienne pour conquérir sa place dans la sphère politique ?
Lydie Béassemda : En principe, la femme est la véritable actrice du changement dans les sphères familiales, communautaires, économiques et politiques. Ici, au Tchad je veux dire, ce rôle qu’elle joue n’est pas apprécié à sa juste valeur aux différentes échelles. En plus de son rôle reproductif traditionnel, elle représente le pilier de la survie de nombreux ménages. La sphère politique est colonisée par des militantes qui constituent le leitmotiv des formations existantes car elles sont les plus actives. Pendant les élections législatives et les locales, nous avons enregistré une mobilisation appréciable de beaucoup de femmes. C’est un indicateur que la femme prend de plus en plus conscience de son nouveau rôle en tant citoyenne accomplie. La prochaine étape que mes sœurs doivent franchir est la construction de la confiance en soi pour se débarrasser des pratiques traditionnelles qui nuisent à son plein épanouissement. Pour l’élite féminine, la solidarité et la consolidation de son leadership sont les principaux enjeux. S’approprier du droit d’ingérence dans tous les domaines de la vie publique est un défi à relever en brisant les barrières linguistiques, ethniques, confessionnelles, économiques et politiques. Au-delà de tout, la volonté politique traduite par des instruments juridiques et institutionnels doivent se concrétiser par la responsabilisation systématique de toutes les femmes qui font preuve de capacités professionnelles sans considération de l’appartenance politique ainsi que socioculturelle.
Blogmak : à quoi vous ressemble l’affaire des députés Saleh Kebzabo et Gali Ngotté Ngatta ?
Lydie Béassemda : Les affaires « Saleh Kebzabo » et « Gali Gothé » constituent une diversion pour l’opinion publique nationale et internationale. C’est l’arbre qui cache la forêt ; tandis que les citoyens attendent du gouvernement des solutions en termes de démontage du mécanisme de monopoles sur tous les secteurs-clé (produits alimentaire, matériaux de construction, énergie, transport, etc.), à l’enrichissement illicite de 5% de Tchadiens, à la recrudescence de l’insécurité en pleine capitale, à la traite des enfants, etc.
Blogmak : la situation sociopolitique actuelle au Tchad est si pénible que les Tchadiennes et les Tchadiens sont au bout du rouleau. Quelle stratégie adoptée pour mobiliser la masse et donner l’espoir à un changement politique dans le pays ?
Lydie Béassemda : Les conséquences de la situation sociopolitique sont diverses : désaffection des questions d’intérêts publics, résignation, peur et profond désespoirs. L’émergence d’un leadership fort au niveau communautaire, associatif et politique peut contribuer renverser la tendance. En réalité, le régime est un géant au pied d’argile ; il se maintient en utilisant l’oppression sous toutes ses formes (intimidations, contrôle des medias, exclusions et marginalisation par rapport à l’accès et le contrôle des ressources nationales, etc.). L’éducation de la masse populaire sur les droits économiques et sociaux constitue la meilleure approche pour lui faire comprendre que le droit à l’alimentation, le droit aux services sociaux de base, le droit à la sécurité, etc., ne sont ni négociables ni des privilèges accordés par un gouvernement. Or les organisations qui se sont assignées de cette mission sont essoufflées devant le manque de volonté politique et faute de ressources, le contexte devenant de plus en plus complexe.
Blogmak : pensez-vous que le vent qui souffle dans les pays du Maghreb et le monde arabe, est transposable et applicable dans le contexte tchadien pour dégager Idriss Deby ?
Lydie Béassemda : La roue de l’histoire tourne, c’est un phénomène naturel contre lequel aucun pouvoir ni aucun régime ne peut résister. Tirer les leçons de ce qui s’est passé dans le Maghreb serait signe de maturité et de sagesse. Les Tchadiens n’aspirent qu’à satisfaire leurs besoins fondamentaux, car peu exigeants en général. Prévenir l’arrivée de la tempête, c’est possible avec peu d’efforts. Seule la volonté politique suffirait. Mais, toute la question que se pose tout observateur de la scène politique tchadienne est la suivante, Idriss Deby va-t-il accepter d’écrire une nouvelle page de l’histoire du Tchad en contribuant à la construction d’un Etat de droit véritable et d’une démocratie ? En scrutant l’horizon, il est difficile d’en voir les signes précurseurs. Pour ma part, le premier signe de cette volonté serait la nomination de l’homme qu’il faut à la place qu’il faut sous tendue par une véritable lutte contre la corruption et l’enrichissement illicite. Idriss Deby Itno a eu le courage d’aller faire la paix avec le Soudan. Pourquoi n’en ferait-il pas autant envers ses concitoyens qui vivent dans leurs chairs et dans leurs âmes des frustrations et le dénuement total alors que les ressources sont suffisantes pour leur assurer le minimum vital ?
Blogmak : les Tchadiens assistent impuissants aux évictions forcées de leurs habitats. Cette politique d’urbanisation est-t-elle appropriée ?
Lydie Béassemda : Les faits quotidiens montrent que le Tchad ne s’est pas doté des politiques en matière d’aménagement et d’urbanisation. L’improvisation de la construction d’un marché par ici, d’un stade par là…. La démolition de bâtiments construits ou réfectionnés à coup de millions sont illustratives. A cela, s’ajoute l’émiettement institutionnel du secteur en plusieurs ministères. L’homme doit être au centre de tout développement durable. Malheureusement, ici, ce n’est pas le cas. Les administrateurs et les planificateurs de l’urbanisation perdent tout sens d’humanité face à leurs compatriotes en foulant au pied les lois en matière d’expropriation à des fins d’utilité publique.
Blogmak : femme africaine, que pensez-vous de la parité qui frappe à nos portillons ?
Lydie Béassemda : La parité contribue à assurer la participation aux processus décisionnels. Elle doit s’appliquer à toutes les instances lorsque des compétences féminines existent. Par contre, lorsque des écarts importants entre les hommes et les femmes dans le domaine de l’éducation et de formation professionnelle la parité doit s’accompagner par une stratégie de renforcement des compétences et des expertises des filles/et femmes pour les rendre aptes à assumer leurs rôles et leurs fonctions.
Blokmak : Merci Mme Lydie d’avoir accepté notre interview !
Lydie Béassemda : Merci et courage à votre blog !
Interview réalisée par Makaila Nguebla