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29 Janvier 2011
Depuis quelques temps les membres de la Cour suprême ne savent plus où donner de la tête. Ils semblent vivre des scenarii dignes des remakes des films « cris et chuchotements » d’Ingmar Bergman et « le dictateur » du célèbre Charlie Chaplin.
En effet, la Cour suprême est devenue une institution où pour être bien vu du chef, il faut s’improviser zélateur et/ou délateur. Les couloirs de cette institution sont animés par mille et un bruits. Dès que deux Conseillers se retrouvent, ce n’est pas pour discuter d’un point de droit mais plutôt pour échanger sur l’humeur du chef ou qui a fait quoi.
Le Président de la Cour suprême (PCS) qui est censé gouverner ce beau monde préfère s’adonner à ses deux activités favorites à savoir : voyager seul et espionner les autres.
Le PCS voyage tantôt pour maladie, tantôt pour des séminaires où il serait plus indiqué d’envoyer un chef de service. Parfois, il fait d’une pierre deux coups, c'est-à-dire, s’accorder concomitamment des frais de mission pour un séminaire et des frais d’évacuation sanitaire. D’ailleurs, certains Conseillers passent le plus clair de leur temps à faire les statistiques des voyages de leur Président qui d’ailleurs, selon eux, ne rapportent rien en terme de rendement à la Cour suprême.
Selon des confidences recueillies auprès d’un Conseiller réputé pourtant très proche du PCS, mais qui est écœuré par ces manières qui feraient pâlir de jalousie les malfrats les plus aguerris, le PCS s’accorde des frais de mission faramineux pour le moindre de ses déplacements. Selon ce même Conseiller, il ne ferait qu’appliquer à la lettre l’adage qui dit que : « charité bien ordonnée, commence par soi même ».
Seulement, quand cette charité dépasse les limites, elle suscite l’étonnement voire les grincements de dents. Le PCS se dit peut être en son for intérieur que les Conseillers peuvent aboyer à se fendre les mâchoires, mais sa caravane ne déviera pas de son itinéraire. Nous sommes toutefois censés être dans un Etat de droit où la démocratie n’est pas un vain slogan et la bonne gouvernance un leitmotiv des Hautes Autorités.
L’autre dada ou passetemps favori du PCS qui souffre d’espionnite aigue, est le contrôle des faits et gestes des Conseillers et du personnel. Il fait contrôler par le Gestionnaire internet du Programme de Reforme et d’Appui à la Justice (PRAJUST) financé par l’Union Européenne et le Tchad, toutes les connexions et mails des Conseillers. Le contrôle des sites Facebook et Twitter par certains régimes autoritaires a sans doute inspiré le PCS pour qu’il l’applique à l’échelle de son institution. Or, nous savons que sous d’autres cieux cela a provoqué des événements déplorables.
Ainsi, dans cette logique, le PCS a convoqué dans son bureau un Conseiller pour lui signifier qu’il est informé que celui-ci accède à des sites érotiques. Le pauvre en est ressorti tout retourné. A son âge, être accusé d’une pareille ignominie dépasse l’entendement.
Une autre fois, c’est un autre Conseiller qui fait les frais de l’humeur bireméenne. Le même scenario est rejoué mais sous un registre différent. Croyant qu’il s’agit d’une réunion de travail, le Conseiller prend écritoire et calepin et se pointe au saint des saints de la Cour. Quelle n’est pas sa surprise lorsque le PCS lui déclare de manière sibylline et tout de go qu’il l’a fait appeler juste pour lui proposer de faire déparasiter son ordinateur. En langage clair, cela veut dire : « mon petit bonhomme, je te tiens à l’œil et je ne te raterais pas ! ».
Ces deux cas illustrent les manœuvres d’intimidation exercées à l’égard d’une catégorie de Conseillers car, depuis quelques jours la rumeur fait état d’un remplacement de l’actuel PCS par un magistrat issu de la région méridionale du pays. Ce qui expliquerait que certains Conseillers soient subitement devenus les souffre-douleurs de l’irascible PCS. Mais, en voulant jouer les apprentis- sorciers, Biremé a plutôt réussi à délier les langues des Conseillers.
Cette ambiance kafkaïenne a permis notamment de découvrir ce qui se passe réellement au sein de cette grande institution de la République. Pendant que la Cour se perd en conjectures, les dossiers ne sont plus traités avec la célérité requise et les justiciables ramassent les pots cassés. Il y a des dossiers qui attendent leur règlement depuis plusieurs années. Les justiciables n’ont aucun recours puisqu’il s’agit du dernier degré de juridiction. La Cour suprême ne dépend ni du CSM, ni du Ministre de la Justice, ni du Premier Ministre et peut être encore moins du Président de la République. Elle tient ses pouvoirs parait-il de la seule Constitution. Elle brandit à tout bout de champ son inamovibilité et son indépendance qui lui assurent l’impunité et la mettent hors de portée des contrôles tant du Ministère de la Moralisation que de celui de l’Inspection Générale des Services Judiciaires. Comme dans la célèbre pièce d’Alfred Jarry intitulée « En attendant Godot », les justiciables attendront encore longtemps. Vous avez bien dit théâtre. Et la Cour en est un, au figuré comme au propre.
Simplice Ngartabé