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22 Mars 2010
LIGUE SUISSE DES DROITS DE L'HOMME
15, RUE DES SAVOISES 1205 GENÈVE TÉLÉPHONE/FAX (022) 328 28 44 C.C.P. 12-15783-2
SECTION DE GENÈVE
Témoignages sur le drame de l'expulsion forcée de jeudi dernier
“Nous ne nous attendions pas à un tel traitement de la part de la Suisse ! ”
Et nous, sommes-nous prêts à accepter cela ?
Genève, le 22 mars 2010.
Lors de leur visite hebdomadaire au centre de détention administrative de Frambois, les visiteurs de prisons de la Ligue Suisse des Droits de l’Homme – section Genève (LSDH) ont pu recueillir les témoignages de Messieurs Emmanuel Ogolo et Julius Douglas, le lendemain de la tentative d’expulsion par vol spécial de Zurich vers le Nigeria dont ils ont fait l’objet et le tragique décès d’un leur compatriote.
Au-delà de la tristesse suite à ce décès et l’état de choc dans lequel ils se trouvent, ils ont exprimé leur déception et leur colère face au traitement dégradant et inhumain qui leur a été infligé : « nous ne nous attendions pas un tel traitement de la part de la Suisse ! Et tout ça, pour des questions administratives !» répètent-ils à plusieurs reprises lors de l’entretien. Ils ajoutent « un tel traitement est une insulte pour ce pays ». Les comparaisons utilisées par Messieurs Ogolo et Douglas parlent d’elles-mêmes : «nous avons été traités comme des marchandises, pire que des animaux… une vague impression d’esclavagisme ! »
Emmenés dans une fourgonnette en direction de Zurich, Messieurs Ogolo et Douglas ont été entravés par des menottes, de l’autre côté d’une planche en bois percée de deux trous. Très mal installés, les mains ainsi attachées, Messieurs Ogolo et Douglas ont de ce fait été sensibles à toutes les turbulences de la route. L’un d’eux a d’ailleurs vomi à plusieurs reprises durant le voyage.
A leur arrivée à Zurich aux alentours de 22h, ils ont été placés dans une grande salle où d’autres détenus, qui avaient été ligotés de toute part, attendaient. Messieurs Ogolo et Douglas se sont alors demandés depuis combien de temps ils attendaient ainsi, dans cette position inconfortable et humiliante. Des cris et des pleurs s’échappaient de leurs bouches.
Pris en charge chacun par trois policiers, ils ont été avertis qu’ils n’avaient pas intérêt à créer des problèmes. La peur au ventre et encerclés de policiers, le processus de préparation a débuté, soit : immobilisation de la personne à l’aide de ceintures au niveau des bras, des hanches et des genoux, fixation au siège, maintien de leurs mains croisées juste au dessus du bas ventre et, enfin, placement d’un casque sur la tête empêchant toute mobilité de celle-ci et réduisant la visibilité. Les ceintures ont été pour les deux hommes serrées à l’excès. L’un deux, en pleurs, a supplié un policier de desserrer un peu les liens, sans que ce dernier ne réagisse pour autant.
Une fois ligotés, Messieurs Ogolo et Douglas racontent que leur position était insupportable ; ils étaient en permanence courbés sur eux-mêmes. Ils n’avaient pas la possibilité de boire ou de faire leurs besoins. En quelques minutes déjà, l’un et l’autre ont pu ressentir des difficultés à respirer et des douleurs atroces au niveau des jambes et du dos. Aux plaintes exprimées aux policiers, ils ne reçoivent pour réponse qu’un « it’s business ». Dans leurs souvenirs, la personne qui est décédée ne semblait pas en mauvaise santé, mais exprimait le fait qu’elle était trop fortement ligotée.
Ils ont été maintenus dans cette position pendant environ 45 minutes, étant précisé que cela aurait dû durer 6 heures, soit la durée du vol. Messieurs Ogolo et Douglas ont évoqué cette perspective avec effroi, vu leur position insoutenable et imaginant leur devenir en cas de problèmes techniques durant le vol, ce qui soulève évidemment des questions sécuritaires.
Alors qu’ils avaient tous été embarqués dans l’avion, l’un après l’autre, les policiers ont été appelés à l’extérieur. A leur retour à bord, ils ont commencé à décharger les bagages, puis les détenus eux-mêmes sans aucune explication. Sentant la panique monté parmi les policiers, Messieurs Ogolo, Douglas et leurs compatriotes les ont interrogés sur les raisons de cette annulation. Il leur a finalement été indiqué qu’il s’agissait d’un « problème administratif ». Ils n’ont été informés du décès du jeune nigérian qu’à leur retour à Frambois.
Leur histoire n’est malheureusement pas isolée. La peur règne parmi les détenus du centre de détention administrative de Frambois. Chacun se demande s’il va faire l’objet d’un vol spécial, à quel moment il aura lieu et s’il subira aussi le même traitement jusqu’à peut être en mourir.
Elle réitère la nécessité qu’une enquête indépendante et impartiale soit menée afin d’établir les circonstances exactes et la cause du décès de ce jeune nigérian.
Le Comité de la LSDH
Personne de contact : Orlane Varesano – 078 647 62 65