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30 Janvier 2012
LAOUKOLE Jean,
N’Djaména, Tchad.
Encore de la comédie au haut sommet de l’Etat ? Oui, c’est ce que laissent croire les évènements de ce dernier trimestre 2011. Les acteurs sont, en majorité, des gens rompus à l’art d’amuser la
galerie.
Le premier d’entre eux a choisi sa salle de spectacle loin de la capitale. En effet, c’est depuis Moussoro que le Président de la République réforme l’armée. A-t-il oublié que cette
institution a été ainsi depuis Hissein Habré, un conglomérat d’officiers assimilés sous la férule du seul chef de l’État ? Dès sa prise de pouvoir, Idriss Déby Itno a renforcé ce schéma. L’armée
nationale est l’une des rares institutions qu’il maîtrise très bien. C’est lui qui nomme tous les responsables de cette terrible machine de répression dans le souci de pérenniser son pouvoir.
Tous les hommes qui la composent lui jurent loyauté. Comment peuvent-ils oser aller au-delà de ses instructions en recrutant comme bon leur semble ? Là, le danger plane sur cette institution. Il
faut agir vite pour que l’hystérie de ces hommes en treillis ne continue pas de faire des victimes.
Monsieur Idriss Déby Itno a géré les officiers assimilés en tant que chef d’état major général des armées, puis conseiller militaire et enfin Président de la République. Des fois, il nomme un
ministre délégué à la présidence chargé de la défense nationale. En toute logique, il n’ignore rien du désordre qui règne au sein de cette institution. Dès le 1er décembre 1990, date de son
accession à la magistrature suprême, les Tchadiens ont soutenu que l’armée nationale était peu professionnelle et qu’elle était remplie de vauriens. Ils ont aussi relevé qu’elle était tribale et
budgétivore, avec une pyramide exceptionnelle : plus d’officiers que d’hommes de rang. Il a fait la sourde oreille, préférant promouvoir les hommes qui la composent sur les bases qui n’ont plus
droit de cité dans un pays de démocratie.
Pourtant, on a tenu les états généraux de l’armée il y a quelques années. A quoi ont-ils servi ? Quand se sont-ils mus en étaux caporaux ? Pourquoi n’avoir pas entrepris cette réforme avant les
dernières élections ? A-t-on osé démettre les généraux propulsés à ce grade par pure générosité ? Sur quel budget entreprend-on cette réforme alors que les étudiants de l’université de N’Djaména
réclament leurs bourses ? Nous fera-t-on le compte rendu de cette réforme entreprise par le haut sommet de l’État ?
En attendant les réponses à ces questions, cette institution reste une épine dans le pied de notre démocratie. Par sa désorganisation entretenue, le Tchad est devenu une poudrière à ciel ouvert.
L’insécurité règne partout. La tenue militaire ne rassure aucun citoyen. Les gens la portent pour s’octroyer des avantages indus. Les hommes en tenue sont à tous les coins de rue. On les
rencontre là où l’on s’y attend le moins.
Qu’aucun pays au monde n’ait une armée comportant d’officiers assimilés doit faire notre fierté : nous sommes ingénieux. Les inventeurs de cette catégorie de gradés doivent déposer une demande de
brevetage auprès de l’Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle (OAPI). Comme ça, les autres pays viendront nous payer pour réorganiser leurs armées sur notre modèle.
Le deuxième comédien a choisi l’hémicycle pour avouer son impuissance face aux commerçants. En soutenant que la situation était déjà ainsi quand Kassiré dirigeait le gouvernement, on doit
entendre que tout est au dessus de lui et que seul le chef de l’Etat peut induire le changement.
En attendant, le premier ministre demeure bien ferme devant ses collègues en ce qui concerne la levée des couleurs ! Tous les lundis, les travailleurs de la primature se battent comme des diables
pour être sur les lieux de travail dès 7 heures. Mais, il n’a jamais remarqué que ses collaborateurs se rongent le pouce : le sempiternel manque de moyens de travail se pose à la primature aussi.
Pendant ce temps, on attend le bilan de ses nombreuses visites de chantiers opérés depuis qu’il occupe ce poste. Beaucoup de chantiers sont abandonnés. Pour d’autres, c’est la question de la
qualité. Le plus souvent elle déçoit les Tchadiens. Avant la fin d’une construction, les édifices sont en loques, d’énormes lézardes sillonnent déjà les murs. Des entreprises et sociétés créées à
la va-vite gagnent d’importants marchés. Après, c’est la confusion. Leur amateurisme s’exprime. Ne parlons pas des routes bitumées : elles se dégradent en moyenne au bout de deux ans !
Le troisième comédien a choisi de tirer à boulets rouges sur Monsieur Saleh Kebzabo, député à l’Assemblée nationale et chef de file de l’opposition. Ce Ministre secrétaire général du
gouvernement, puis que c’est de lui qu’il s’agit, était-il à N’Djaména pendant les regrettables évènements du début de l’année 2008 ? Sinon, qu’il sache que nous avons tous été témoins
privilégiés du comportement des militants du MPS pendant cette période tragique. Pendant que leur pouvoir vacillait, ils avaient cédé la capitale aux rebelles avant leur entrée sur le territoire
national. Tous les signes ostentatoires de leur militantisme ont disparu de la ville en un temps record. Beaucoup ont traversé la frontière. D’autres se sont cachés. D’autres encore ont
simplement retourné la veste, aiguillant, ravitaillant les forces rebelles. Les militants du MPS et les partisans du pouvoir étaient nombreux parmi les pillards ; ils constituaient toute une
armée au bord des voies empruntées par les rebelles, les ovationnant comme jamais, comme des vrais libérateurs. Le président à vie du MPS, chef suprême de l’armée, a perdu le contrôle de la
grande partie de la ville, terré dans sa présidence. Beaucoup de militaires qui lui juraient loyauté ont fait appel aux civils pour partir dans une djellaba ou tout autre habit ne permettant pas
de les reconnaître. Les membres du gouvernement se sont aussi cachés.
Dans ces conditions, peut-on en vouloir à un opposant d’avoir fui ? Peut-on parler de débat ? A quel hémicycle et sur quel ordre du jour ? Doit-on regretter l’absence de Monsieur Saleh Kebzabo du
pays le 3 février 2008, alors que la capitale était sans eau, ni électricité, à la merci des forces du mal téléguidée depuis un centre obscur d’opération ?
Non, tout bon sens nous recommande de nous en prendre plutôt à ces militants du MPS qui ont failli à leur devise. C’était en effet le moment de « Mourir pour le salut ». Au lieu de cela, ils ont
adopté celui-ci : « S’enfuir pour le salut ».
D’ailleurs tous les caciques des rebelles viennent des rangs du MPS. Cela ne traduit-il pas un malaise au sein de cette formation politique ? On devrait plutôt s’atteler à prendre en
considération leurs revendications pour un Etat de droit et de démocratie.
Somme toute, c’est un sentiment d’échec qui devait animer ces trois personnalités. Comme tels, ils devaient l’avouer et rendre le tablier. Mais, au Tchad, le ridicule ne tue pas. Ils s’accrochent
au pouvoir tandis le peuple languit. Tout coûte la peau des fesses. L’armée nationale continue de mobiliser tous les moyens de l’État. Elle occupe une grande partie de la ville, depuis la
préfecture jusqu’à la chambre de commerce ! C’est la peur au ventre que les N’Djaménois circulent sur cet axe. Et on nous rabâche qu’on est dans un pays de droit et de démocratie.
Il y a des choses qui s’imposent à tout homme dans la vie. Des réalités insurmontables, irrésistibles, au-delà de nos forces. Parmi ces choses, figurent les responsabilités. Quand on n’est pas
préparé à les assumer, il faut être humble d’esprit : reconnaître ses incapacités et s’en aller, laisser sa place à un autre. La gestion d’un État n’est pas une mince affaire, elle ne s’improvise
pas. Pourquoi persister dans cette logique ? Aucun opposant ne manipule la rue. C’est plutôt l’amateurisme politique, l’absence d’une prévision des soulèvements et la transformation du pays en
une fazenda qui engendrent toutes ces grognes. N’est-ce pas qu’on nous a promis que 98% des routes à N’Djaména seront bitumées avant la fin 2011 ?