Tchad : un avion bien gênant... pour la France ?
Un voyagiste français a décidé d'ouvrir une liaison aérienne touristique vers Faya-Largeau, au nord du Tchad. Les autorités françaises auront déployé beaucoup d'efforts pour l'en dissuader.
Récit par Sabine Grandadam pour Mariane2.
Les beautés des tassilis et des cordons dunaires du Tibesti et de l'Ennedi sont fort désirables aux yeux des amoureux du désert. Beaucoup se donc réjouis lorsqu'un voyagiste français,
Point-Afrique, a annoncé fin 2011 le lancement de circuits touristiques dans ces contrées du nord du Tchad.
Et pour cause : les amateurs de désert sont privés de Sahara du fait de menaces terroristes d'AQMI (Al Qaida au Maghreb islamique, qui détient des otages français depuis septembre 2010 dans le
nord du Mali). De larges régions sont classées « zone rouge » par le ministère français des Affaires étrangères, qui déconseille formellement de s'y rendre.
L'impétueux patron de Point-Afrique, Maurice Freund, avait déjà agacé les autorités pour s'être refusé un temps à annuler ses vols vers ces destinations reculées, avant de s'y résoudre. Or
voici qu'il entend poser un avion par semaine sur la piste de Faya-Largeau entre février et mars 2012 pour amener les randonneurs au plus près du désert. Avec la bénédiction des Tchadiens.
Pour les états-majors ministériels et du renseignement français, c'en est trop. L'oasis de Faya-Largeau abrite une unité militaire française — le dispositif Epervier — déployée depuis 1986 (à
l'époque pour protéger le pouvoir du président Hissène Habré d'une invasion libyenne soutenant son rival, Goukouni Oueddeï).
La piste de
Faya, une bande de bitume esseulée parmi les dunes, est utilisée quasi exclusivement par les militaires français, à l'exception de rares vols officiels tchadiens. Toute
cette zone saharienne du nord du Tchad est sous haute surveillance militaire. Elle a connu des années de conflits et, frontalière avec la Libye, est susceptible de drainer le retour de
mercenaires lourdement armés.
Un premier courrier de mise en garde est adressé à Point-Afrique en novembre 2011 par le ministère des Affaires étrangères. Il y en aura un second en février, plus pressant, qui évoque le
risque de
« dissémination d'armements, notamment sol-air ». Mais Maurice Freund ne se laisse pas démonter :
« La France veut nous empêcher par tous les moyens de
faire cette opération. Mon sentiment est que l'armée veut garder la maîtrise des lieux. Nous dérangeons ».
L'homme est depuis toujours convaincu que le tourisme est un facteur de développement pour des populations isolées et précaires. Il pourfend volontiers les reliquats d'une certaine Françafrique
et rêve d'une politique moins sécuritaire et plus respectueuse à l'égard de l'Afrique. Le combat est idéologique autant que touristique. Bien renseigné, il prépare cette opération depuis plus
d'un an, confronté à d'énormes problèmes logistiques et à ce qu'il qualifie de
« bâtons dans les roues ».
Un mystérieux trouble-fête
Faya n'est équipée ni de carburant ni de pompe pour approvisionner l'avion, ni de véhicule incendie.Tout sera acheminé depuis la capitale, Ndjamena, au prix de plusieurs jours de
pistes de sable. Mais l'approvisionnement en carburant par le groupe Total traîne plus que de raison. L'aviation civile française — le vol étant français — impose pour Faya des
sociétés de sécurité dont Maurice Freund se méfie. Noyautées par des informateurs ?
En France, la pression s'accentue. Un salarié de Point-Afrique témoigne : «Au téléphone, un homme s'annonce comme le "chef" X représentant l'armée française. Il m'interroge sur le
déroulé de nos circuits, les lieux exacts...Il veut savoir si des touristes se rendraient à Bardaï [extrême-nord du Tchad et carrefour stratégique proche de la Libye]; j'insiste pour
connaître son identité, "chef" n'étant pas un grade dans l'armée. Pas de réponse ».
En ce matin du 21 février à Faya, à quelques heures de l'arrivée du premier vol Air Méditerranée de Point-Afrique avec plus d'une centaine de touristes à bord, une rumeur éclate. L'avion
serait menacé par un SAM-7, un missile sol-air. La tension monte, les autorités tchadiennes chargées de la surveillance du territoire doutent. Cette arme lourde ne peut passer inaperçue.
Info ou intox ?
Consulté, le commandement militaire français de Faya affirme « ne pas avoir entendu parler de missiles sol-air dans les environs ». Au Quai d'Orsay, on rigole.
« On vit dans un monde de rumeurs ! Mais nous travaillons en toute transparence » lance le porte-parole. Au fil des heures, l'existence du SAM-7 paraît de plus en plus
improbable. Un coup de fil sur le portable de Maurice Freund met fin au suspense. Il n'y aura pas de missile.
Après enquête, la rumeur provient d'un énigmatique personnage tchadien. Il se revendique comme un Toubou combattant contre feu le régime de Kadhafi et déçu par Point-Afrique. Son
discours est équivoque. Mais, à Ndjamena, il est bien introduit dans les cercles diplomatiques et militaires occidentaux.
Le 22 février, l'avion s'est posé sans incident sur la piste de Faya.
Source: http://www.marianne2.fr/Tchad-un-avion-bien-genant-pour-la-France_a215959.html