27 Juin 2008
Convient-il de l'appeler syndrome tchadien ou syndrome Itno Déby ? Un pouvoir qui ne peut pas passer trois mois sans être l'objet d'une attaque rebelle. Hantise du
pouvoir ou vraie volonté de l'opposition armée d'en finir avec un homme et le pouvoir clanique qu'il incarne ? La conséquence, ce sont les populations civiles qui ont payé et qui vont payer le
plus lourd tribut. Il en a été toujours ainsi dans les pays où un homme et son clan s'accaparent du pouvoir et deviennent imperméables à toute idée d'alternance. L'insécurité du régime Déby est
consubstantielle à la nature même de son régime.
Venu du Soudan voisin où il avait lui aussi bénéficié d'appuis matériels, logistiques et financiers il y a dix sept ans pour chasser Hissen Habré du pouvoir, Déby voit aujourd'hui le Soudan comme
un pays déstabilisateur. Le Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies a voté le 4 février une déclaration qu'on dit non contraignante, mais qui donne carte blanche à la France
d'intervenir aux côtés de l'armée gouvernementale pour, dit-elle, sauvegarder l'intégrité territoriale du Tchad et le respect des accords qu'il a signés avec ce pays.
On s'étonne toutefois de cette promptitude de la communauté, particulièrement de la France, à voler au secours d'un régime impopulaire. Où se trouvait-elle quand Idriss Déby Itno assassinait,
emprisonnait les membres de l'opposition ? Où était-elle quand Idriss Déby qui devait quitter la présidence au terme de deux mandats comme le prévoit la Constitution que lui-même a fait écrire et
adopter, a amendé ladite Constitution pour briguer un autre mandat ? Le monde entier sait comment il s'est proclamé vainqueur à l'issue de l'élection présidentielle. Aujourd'hui, la France et la
communauté internationale prétextent qu'Idris Déby est à la tête d'un gouvernement "démocratiquement" élu. Cependant, l'une comme l'autre savent de quelle manière et comment il a été réélu le 20
mai 2006. Ce qui se passe actuellement au Kenya est peu de chose comparé aux atrocités commises par Déby avant, pendant et après les élections de mai 2006 pour se maintenir au pouvoir. La
violence et la violation massive des droits de l'homme et des droits du peuple tchadien sont une constante des pouvoirs à N'Djamena. Les pouvoirs en permanence contestés. Les événements des 2 et
3 février sont une suite logique de cette contestation.
Dans un précédent article, nous avons écrit que l'Afrique inaugure l'année 2008 de la plus mauvaise manière. Nous pensions au Kenya où la proclamation des résultats de l'élection présidentielle
du 27 décembre avait jeté dans les rues de Nairobi et des autres villes kenyanes les populations mécontentes, notamment les militants du Mouvement démocratique orange (MDO) de Raila Odinga. Elles
contestaient la victoire du président sortant Mwai Kibaki au détriment de son challenger Raila Odinga. On peut estimer à la date du 5 février à plus 1000 le nombre de personnes qui ont perdu la
vie dans ces mouvements de contestation, sans ajouter les milliers de déplacés. La plupart des victimes ont été tuées par la police kenyane qui a tiré sur les manifestants à balles réelles. Ces
violences qui ont pris l'allure d'affrontements ethniques sans que les deux parties : le camp présidentiel et le camp de Odinga ne parviennent à les endiguer, malgré l'arrivée sur place depuis
une semaine de l'ancien secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies, Kofi Annan, qui tente une médiation.
Notre pessimisme sur la situation du continent noir s'explique aussi par la rébellion au Darfour et l'incapacité de l'Union Africaine et de la communauté internationale à lui trouver une solution
acceptable. L'attaque de la capitale tchadienne au cours du week-end des 2 et 3 février dernier est venue renforcer ce pessimisme. Idris Déby fait actuellement face à la plus grave attaque
rebelle venue du Soudan. C'est aussi du Soudan qu'il était arrivé en 1990 pour chasser Hissein Habré du pouvoir un 31 décembre 1989. Le président Déby a déjà remanié la Constitution tchadienne
pour se maintenir au pouvoir. Chaque année, son pouvoir est attaqué par des rebelles. Il s'agit de ses anciens compagnons d'armes avec lesquels il a refusé de partager le pouvoir. Il accuse le
président Omar El Béchir d'être le parrain traditionnel de toutes ces rébellions qui en veulent à son pouvoir.
Les observateurs continuent de se demander comment les rebelles ont pu traverser le territoire tchadien d'Est en Ouest en seulement une semaine pour entrer dans N'Djamena sans rencontrer une
opposition. On se souvient qu'en août 2006, les colonnes rebelles qui se dirigeaient sur la capitale avaient été stoppées par les soldats français de l'opération "Epervier", une base de l'armée
française stationnée au Tchad. La France s'était-elle lassée de voler tout le temps au secours d'un régime impopulaire et autocratique ? Dans un premier temps, elle a proposé au président Déby de
l'aider à sortir du Tchad s'il estimait que sa vie était en danger. Aujourd'hui elle a changé de langage. On ne sait pourquoi. Peut-on comprendre la courbe de variation de la politique africaine
de la France?
Combien de coups d'Etat, vrais ou faux, c'est-à-dire inventés pour se débarrasser d'hommes, le président Déby a-t-il déjoués depuis qu'il est arrivé au pouvoir ? On ne sait pas non plus combien
d'attaques rebelles il a repoussées, avec l'aide de l'armée française. Combien de temps cela va durer encore ? Devenu producteur de pétrole il y a seulement cinq ans, on est tenté d'affirmer que
le Tchad avec Idriss Déby a succombé à la malédiction du pétrole. C'est pourtant aller trop vite en besogne. L'instabilité politique au Tchad est avant tout la résultante de l'antidémocratisme et
de la mal gouvernance. Déby a fait modifier la Constitution à sa convenance. Les événements survenus les 2 et 3 février au Tchad n'émeuvent et ne surprennent pas les démocrates, les progressistes
et les patriotes africains. Ils y voient surtout un signal fort pour tous ceux qui rêvent de faire abolir dans les constitutions de leurs pays le principe de la limitation des mandats. Ceux qui
pensent qu'ils ont en face d'eux des populations "yel kayé" risquent d'être surpris un matin. Le seul refuge sûr pour un chef d'Etat africain, c'est l'organisation d'élections libres,
transparentes, pluralistes et équitables. La corruption électorale, partout où elle se pratique, prépare incontestablement le syndrome tchadien
Par Basile Baloum