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7 Décembre 2008
Chaque Homme, du fait qu'il est un être humain, dispose de droits inaliénables (il n'est pas possible de l'en priver sans le déchoir de son humanité) et imprescriptibles (il n'est pas possible de les abolir). Ces droits de l’Homme fondent la dignité humaine, qui empêche de réduire l'Homme au rang d'objet, de marchandise. La visée d’une communauté doit consister en l’organisation de la vie en commun (du « Nous tous », les uns avec les autres et non les uns contre — voire sans — les autres) la plus digne possible avec les institutions les plus justes possibles. Les droits dont l’être humain peut se prévaloir sont dès lors nécessairement doublés de la réciprocité de la reconnaissance de la dignité et des droits d’autrui. L’autre considéré non seulement comme un alter ego, mais surtout comme un alter égal.
Les droits de l’Homme ne se cantonnent pas à une éthique, ni à une morale, qui, pour rendre cette éthique effective, édicterait des impératifs ou des interdits au gré du courant social dominant. Ils dépassent le champ de l’incantatoire pour investir les champs juridique et socio-politique. Ils constituent des outils et des normes de droit, national comme international,qui, comme tels, façonnent notre mode de vie en commun, voire des instruments politiques en vue d’un changement sociétal.
Mais ces droits de l’Homme, dont l’universalité est affirmée dans les textes, ne seraient-ils pas un nouvel instrument doctrinal d’asservissement néocolonial ? Certains le pensent :
Les spécificités culturelles ne s'accommoderaient pas des droits humains. En Malaisie ou à Singapour, il s'agit du discours des sphères dirigeantes, qui veulent maintenir leur population dans des situations de non-droit. Curieusement, les cultures semblent assez proches pour permettre les échanges commerciaux. On remarquera, par ailleurs, qu'il existe des défenseurs de ces mêmes droits humains dans des pays des cinq continents, défenseurs qui semblent pourtant avoir intégré les singularités de leurs cultures. Quoi qu'il en soit, il est incongru de penser que la torture puisse être une spécificité culturelle chinoise, que le régime à parti unique appartienne à la culture africaine ou que les centres fermés pour étrangers soient un pur produit européen. La torture, la dictature, les crimes de guerre, contre l’humanité et les génocides sont des scandales où qu'ils se pratiquent. Et l’impunité qui s’ensuit trop souvent est intolérable.
Certaines régions du monde seraient, quant à elles, plus attachées à la communauté et à la famille, lieux de solidarité, qu'à l'individu. Une lecture moderne de la Déclaration universelle des droits de l'homme (DUDH), qui traite les droits humains comme indivisibles et interdépendants, contient en elle la tension entre l'individu et la collectivité. Une lecture exclusivement libérale des droits humains est dépassée. L'individu jouit de droits d'abord en tant qu'individu, certes, mais en tant qu’individu inscrit dans la société et participant à la collectivité. La communauté et la solidarité qui la sous-tend, ne sont d'ailleurs envisageables que si elles reconnaissent la dignité des individus qui y prennent part.
La DUDH, à la base, occidentale serait utilisée à des fins néocolonialistes. Ne nous trompons pas sur l'origine des maux. Ce ne sont pas les droits humains qui asservissent les populations, mais plutôt, les régimes totalitaires et dictatoriaux, de même qu’une certaine conception de la mondialisation de l'économie, qui creuse le fossé entre pays riches et pays pauvres. Conditionner l'octroi de l'aide au développement au respect des droits fondamentaux peut parfois apparaître comme un chantage, comme un moyen de pression économique qui maintient les pays dans des situations de misère. Cependant, c'est aussi une arme qui permet à la fois de faire pression sur les pouvoirs arbitraires et de contrer la généralisation de la logique de marché pure et dure au détriment de l'humain. Les mauvais usages d'un bon outil ne doivent pas le disqualifier, et on ne trouvera personne pour dire que ce sont les droits humains qui tuent l'enfant soldat, prostituent l'adolescent ou porte atteinte aux droits des femmes jusqu’à les violer en temps de guerre comme en temps de paix. Ce sont les droits de l’Homme qui exigent des états le respect et la garantie des droits pour les migrants, où qu’ils se trouvent dans le monde.
La DUDH est certes un texte essentiellement occidental à la base : les pays colonisés à l'époque n’ont pas eu voix au chapitre. Cela ne doit néanmoins pas occulter le fait que si cet outil est performant, il doit pouvoir être utilisé partout, quelle que soit son origine. Ce qu'il faut éviter, c'est le sacrifice de cultures particulières : ne pas considérer l'universalité comme un postulat intangible, accepter de la refonder par la rencontre de l'autre et par la discussion, la concevoir comme une œuvre à faire, à laquelle tous doivent participer. Cela nous oblige à balayer devant notre porte, à dénoncer les violations des droits de l’Homme dans nos « paradis » occidentaux, ce qui créera également du lien culturel : nul n’est à l’abri de ces violations ; nous n’avons aucune bonne conscience à exporter.
Tantôt qualifiés de postmodernes, dépassant les clivages idéologiques totalisant de la gauche comme de la droite, tantôt taxés de nouvelle religion civile au parfum
néocolonial, les droits de l’Homme sont plutôt pour nous une merveilleuse construction humaine, juridique certes, mais dynamique dans sa constante évolution à travers les déclarations et
énonciations historiques successives, favorisant les combats politiques majeurs pour porter au plus haut niveau l’émancipation et l’effectivité de la dignité humaine. Ils ne doivent donc pas être
vus comme un nouveau catéchisme, une parole absolue, ou encore une rhétorique creuse. Tout le monde semble être pour, s'en revendique, les convoque ; personne n'ose être contre, du moins en
public. Ils deviennent alibi, cache-sexe. Le risque est donc grand de voir perdre leur force critique à ces outils juridiques fabuleux, qui ont permis et permettront encore des avancées
politiques majeures pour rendre plus effective la dignité humaine. Il nous faut dès lors rappeler chacun à sa responsabilité (en particulier les états, qui se sont obligés eux-mêmes), encore et
encore sensibiliser, informer, mobiliser, par la dénonciation et la formation, pour que chacun s'approprie ces droits, pour en revendiquer la garantie et le respect pour soi et pour autrui, pour
que nous puissions les acter dans notre vie de tous les jours, leur donner chair dans notre quotidien.
Dan Van Raemdonck