25 Février 2009
COMMEMORATION DE LA JOURNEE DE KIDNAPPINGS
DES RESPONSABLES POLITIQUES.
L’Adresse de Salibou GARBA, Rapporteur de la CPDC, sur la disparition forcée de son Porte parole, IBNI OUMAR MAHAMAT SALEH.
Chers amis,
Mesdames, Messieurs,
Croyez-moi, ce n’est pas aisé pour moi de prendre la parole en cette circonstance, pour parler de notre ami, de notre frère, de notre compagnon, de notre camarade Ibni.
Ibni, c’est ainsi que nous appelons Ibni Oumar Mahamat Saleh.
Mon chemin et le sien se sont croisés en France, dans les allées de l’ASETF (Association des Stagiaires et Etudiants Tchadiens en France), au début des années 70. Lui était de la Section académique d’Orléans et moi de celle de Nantes, puis de Paris.
A l’époque, 1972, 1973, 1974,…, on y débattait, comme au sein de la FEANF (Fédération des Etudiants d’Afrique Noire en France) des notions de tactique et de stratégie de la lutte révolutionnaire à travers l’appréciation du slogan de « soutien tactique et démarcation stratégique» de nos camarades dahoméens.
On y parlait de l’urgence et des voies et moyens pour réaliser la Révolution Nationale Démocratique et Populaire. Les thèses plus révolutionnaires les unes que les autres s’affrontaient ; les unes qualifiées de révisionnistes, d’autres de maoïstes, de pro- Le Duan, de pro Truong Chin, d’autres encore de trotskystes allant de la tendance lutte ouvrière à celle de la Ligue Communiste Révolutionnaire.
Mais nous avions tous en commun ce mot d’ordre historique de la légendaire FEANF : l’intégration des cadres techniquement compétents et politiquement conscients dans les masses populaires, en vue de la participation en leur sein à l’émergence et au renforcement des organisations réellement aptes à conduire le processus d’émancipation des populations africaines, en proie à toutes sortes de calamités, empêchées de relever la tête du fait du poids de la domination impérialiste sous toutes ses formes.
Ibni était de tous ces débats. Discret, courtois mais ferme dans ses convictions. Ibni ne pouvait pas passer inaperçu. Il sait allier ses convictions à ses propos et actes.
C’est donc sans surprise qu’il a rejoint officiellement le FROLINAT en 1978, en compagnie de mes compagnons Nadji Bassiguet et de Manasset Nguéalbaye.
C’est alors sans surprise qu’il a quitté le maquis, après avoir constaté que la réalité dans les rangs du FROLINAT ne cadrait pas avec ce qu’il croyait et voulait de la pratique révolutionnaire.
C’est aussi sans surprise qu’il s’était interdit de faire la moindre déclaration sur son désenchantement. Par discrétion et par souci de ne pas nuire au principe de la lutte contre un pouvoir qui n’avait rien de démocratique et d’émancipateur.
Ibni, c’est la rigueur dans l’analyse des situations, c’est la rigueur dans la recherche des solutions. Ce qui amène ceux qui ne le connaissent pas à le caractériser de « carré », de « rigide », de dogmatique.
Ibni n’est ni « carré », ni « rigide », ni dogmatique. Simplement il n’est pas capable de transiger sur les principes qui touchent à l’objectif, à la finalité de son engagement.
Après les arènes des mouvements estudiantins, nous nous sommes retrouvés sur le terrain de la pratique politique, aux enjeux et contours moins théoriques, moins livresques. Je vous passe des détails. J’évoquerai seulement deux épisodes :
1- D’abord Franceville, cette conférence inclusive avant la lettre qui a regroupé en janvier 1996 outre le gouvernement, les partis politiques légalisés, les mouvements politico-militaires et la société civile, sous les auspices de la communauté internationale. Quatre Chefs d’Etat entouraient le Président El Hadj Oumar Bongo. N’étant pas de la 1ère délégation des partis politiques, Ibni a été rappelé, en même temps que d’autres (Bidi Valentin, le Général Kamougué, Elie Romba) à la demande de l’opposition extérieure qui estimait que les partis présents n’étaient pas assez représentatifs de tout l’échiquier politique.
Alors que beaucoup pensaient que Ibni, représentant le PLD parti considéré comme proche de la Présidence de la République, allait abonder dans le sens du gouvernement au moment de trancher sur la question de signer ou non la Déclaration de Franceville afin de continuer les travaux en occultant les préalables de l’opposition extérieure, Ibni se leva et asséna calmement son refus de cautionner cette démarche qui à ses yeux ne permettait pas de résoudre, dans ses racines, le mal tchadien. Cela sous les regards médusés de tous et sous le regard perdu et éberlué du Président Déby. Important de le rappeler car il fallait une bonne dose d’honnêteté et surtout de courage, tellement l’atmosphère était lourde dans la salle.
2-Puis le dialogue ayant abouti à l’Accord politique du 13 août 2007.
En tant que Porte parole et moi Rapporteur de la CPDC, nous avons travaillé, beaucoup travaillé ensemble. Nous ne croyions pas à la sincérité des chefs de la majorité présidentielle. Nous voulions à travers ce dialogue démontrer aux yeux de tous, plus particulièrement aux yeux de la communauté internationale qui, parfois de bonne foi, étaient abusés par le pouvoir que celui-ci est incapable de tenir ses engagements et de promouvoir une politique rationnelle de résolution des difficultés que connaît le pays.
Ibni m’a rappelé, le lendemain de la signature de l’Accord, la justesse de notre scepticisme, évoquant cette scène lors de la cérémonie de signature de l’Accord, où on me traita à 3 reprises et devant public, de fossouyeur, terme utilisé pour qualifier ceux qui, pendant les discussions défendaient avec détermination les principes qui font aujourd’hui la crédibilité de cet Accord.
Ibni ne veut pas transiger sur les principes de justice car pour lui l’injustice est une bombe à retardement ; c’est pour cela qu’il s’est démarqué de ceux qui pensaient que la répartition inéquitable actuelle des députés par circonscription, le vote des nomades et des tchadiens de l’étranger devaient être maintenus car leur étant favorables.
Ibni sait faire des concessions, de bonne foi. C’est ainsi qu’il a accepté la prorogation de l’actuelle législature à condition toutefois que les députés ne s’avisent pas de remettre en cause les principes de base et les orientations convenus dans l’Accord, de même qu’il a accepté le maintien du Conseil constitutionnel sachant bien comment les membres sont cooptés ; à condition de s’assurer de la présence des parties en compétition dans les travaux de compilation des résultats.
Mais en faisant ces concessions, nous n’étions pas dupes. Aujourd’hui, le monde entier est témoin de la forfaiture de la majorité présidentielle : non satisfaite de la non exécution des clauses relatives à l’assainissement de l’environnement général, celle-ci s’est attelée à travestir les textes de loi suggérés par l’Accord, conduisant à l’impasse actuelle dont il faut sortir en revenant à l’Accord, dans sa lettre et dans son esprit, sous peine de plonger dans une crise institutionnelle et dans une crise de légitimité.
Chers amis,
Mesdames, Messieurs,
On n’étouffe pas l’aspiration à la Justice ; on n’étouffe pas l’aspiration à la liberté ; on n’étouffe pas l’aspiration au mieux-être sur le plan économique et social.
Chers amis, Mesdames et Messieurs, on n’assassine pas la vérité.
La vérité, cette réalité, cette évidence que nous ne cessons d’asséner avec Ibni à la CPDC, c’est que le pays va mal, le pays va très mal. La crise est profonde.
Elle s’appelle déficit démocratique ; elle s’appelle gestion mafieuse de l’Etat et des ressources nationales ; elle s’appelle mépris du citoyen ; elle s’appelle crise de légitimité. Le pouvoir a cessé de refléter la volonté et l’espérance des populations de ce pays.
La vérité que nous ne cessons d’asséner avec Ibni, est qu’aucune solution durable n’est possible sans un dialogue associant le pouvoir, les partis politiques représentant réellement l’opposition démocratique, les mouvements politico-militaires et la véritable société civile pour définir le programme, le calendrier, les institutions et les mécanismes idoines de sortie de crise. Avec, bien sûr, le soutien déterminé de la communauté internationale.
Cette vérité est toujours là, vivace. Aucun accord inter-tchadien ou international parcellaire n’est à ce jour exécuté à un niveau acceptable. L’Accord politique du 13 août 2007 est foulé aux pieds par les partisans du Garant, alors que le mandat annoncé social avec tambours et trompettes est devenu un cauchemar social.
Comme si cela ne suffisait pas, les belligérants armés fourbissent leurs arsenaux, se réorganisent pour engager des hostilités encore plus meurtrières, encore plus dévastatrices.
Dès lors comment ne pas dire que la vérité que nous ne cessons d’asséner avec Ibni demeure incontournable ?
Il n’y a pas d’alternative à la mise en œuvre harmonisée et correcte de tous les accords signés, plus particulièrement l’Accord politique du 13 août 2007 et l’Accord de Syrte du 25 octobre 2007. Laquelle mise en œuvre harmonisée n’est pas possible sans un forum inter-tchadien réunissant tous les acteurs de la vie politique et sociale (pouvoir, opposition démocratique, opposition armée et société civile) en vue de convenir d’un cahier de charges et des mécanismes politiques et institutionnels à même de permettre l’exécution optimale dudit cahier de charges.
Chers amis,
Mesdames, Messieurs,
On n’étouffe pas l’aspiration au mieux-être ; on n’étouffe pas l’aspiration à la liberté et au développement. On n’assassine pas la vérité.
On ne peut pas bâillonner et embastiller Ibni. On ne peut impunément assassiner Ibni. Ibni est là, toujours là à nos côtés, dans nos moments d’activités et à nos heures de repos.
Le rapport de la Commission d’enquête mise en place sous la pression de M. Sarkozy a déjà confirmé que ce sont les forces régulières qui ont perpétré ces rapts politiques d’un autre âge. Les enquêteurs n’ont pas révélé l’identité des ravisseurs et des commanditaires. La CPDC sera de toutes les actions pouvant permettre de retrouver Ibni, ses kidnappeurs et leurs commanditaires.
Où qu’il se trouve, Ibni sait que nous ne cessons pas et ne cesserons pas de penser à lui ; il sait que nous ne cesserons pas de réclamer vérité et justice afin que les responsables de son rapt aussi lâche que criminel payent le juste prix de leur ignominie.
Ibni sait aussi que nous n’abandonnerons pas de lutter pour les valeurs qui n’ont cessé de nous mobiliser depuis des décennies.
Ibni sait que nous ne cesserons pas de nous sentir quelque part responsables de sa situation car notre lutte est commune, notre cause est commune. Elles sont celles de l’écrasante majorité des tchadiens.
Ibni paie pour ce que nous lui demandons de dire et de faire. Ibni paie pour ce que l’écrasante majorité des Tchadiens lui demande de dire et de faire.
Sa’adiyé, Hicham, Mohamed Saleh, Brahim et Samir, vous ne devez pas vous sentir seuls dans cette dure et injuste épreuve qui vous est imposée.
Ibni ! Nous réclamons et reclamerons toujours VERITE ET JUSTICE !
Ibni ! Ils doivent rendre des comptes ! La justice doit être dite !
Merci de votre attention et de votre soutien !
N’Djamena, le 04 février 2009