4 Juillet 2010
«Nassara, Nassara, ça va ? » Un groupe de gosses se ramène en courant et s'arrête à bonne distance dans un nuage de sable. Le moins timide, toutes quenottes au vent, le nez frondeur et les joues pleines, s'approche serrer la main de Nassara, le Blanc. La glace est brisée, le bal des menottes commence. Riant aux éclats, une jeune fille joue des coudes pour s'approcher. Les autres enfants, la petite rue ensablée et le soleil s'évanouissent. Elle est cadavérique. Cadavérique et souriante comme les autres enfants, elle s'amuse de la présence du Blanc et l'accompagne jusqu'au portail des bureaux d'Action contre la faim (ACF).
Jean-François Carémel, responsable de la mission Tchad pour ACF, est de passage sur Mao pour évaluer l'efficacité des actions engagées. « L'année passée, le manque de pluie a provoqué la baisse de 34 % des récoltes et la mort de 30 % du cheptel. En novembre, notre enquête a révélé des taux de malnutrition aiguë très inquiétants. Selon les régions, 19 à 27 % de la population étaient touchés. Au-dessus de 15 %, on est en situation d'urgence, on a donc tiré la sonnette d'alarme. » Les nouvelles enquêtes qui vont être réalisées en juillet risquent de confirmer la dégradation des conditions de vie. Si le taux de trente % de malnutrition est dépassé, on parlera alors de situation de famine. Mais dans le cas du Tchad, il est inexact de raisonner en ces termes. La malnutrition n'a rien de temporaire. Elle est structurelle et dépend de multiples facteurs. Pour s'en convaincre il suffit de passer quelques jours sur le terrain.
Infrastructures manquantes
Les sept heures de piste qui mènent à Mao, capitale régionale du Kanem située à 300 kilomètres de N'Djaména, la capitale, offrent la première réponse. Les infrastructures routières sont quasi inexistantes. Si une tension apparaît sur le marché local, il est très difficile de la lisser en important des matières premières (la moitié du prix des denrées distribuées par le programme alimentaire mondial (PAM) est engloutie par le transport).
Située sur une colline, la ville de Mao et ses environs donne une deuxième piste. Ses 30 000 habitants vivent entourés de ouaddis (oueds) en partie ensablés mais qui permettent encore de faire du maraîchage et des dattes. Les maisons du gouverneur, du sultan et la mosquée sont les seuls bâtiments remarquables dans cette mer de sable. Là où, du temps des colonies, une épaisse forêt protégeait la cité, il ne reste que quelques savonniers erratiques et de petits arbustes.
L'avancée du désert attaque férocement les bases de cette société agropastorale. En trente ans, les sécheresses successives et la grande peste bovine de 1983 ont réduit le cheptel des deux tiers. Mohammed Hadjer est éleveur. Il stationne depuis deux mois à 30 kilomètres de Mao. Son troupeau végète, K-O debout. « Je viens d'Afouno, au sud de Mao. Cela fait sept mois que j'ai quitté ma famille pour chercher de l'herbe, mon père ne partait qu'un à deux mois. Je suis parti avec 40 bêtes et 20 sont mortes. »
Mohammed doit partir amener son bétail au puits pastoral situé à cinq kilomètres de là. Avec ses compagnons d'infortune, ils ai- dent les vaches trop faibles pour se relever toutes seules. « Les ven- dre ? Au mieux, on me propose 70 000 francs (105 euros), le quart de la valeur d'un bœuf en bonne santé ! » Il n'y a pas que la faiblesse des prix qui dissuade les éleveurs. Un troupeau qui disparaît, c'est une banque qui brûle : sans bétail, il est bien plus difficile d'obtenir un crédit. « Je ne sais plus quoi faire, mes bêtes sont trop fatiguées pour aller plus loin et ici il n'y a pas d'herbe. » Mohammed n'est pas le seul à attendre la pluie.
Stratégie de survie
Toutes les familles attendent la première pluie afin de semer le mil. Cela fait plus d'un mois que le bétail est contenu aux abords des villages, la bouse permet d'enrichir le sol avant la plantation du mil. Mais les villageois sont sceptiques. « J'ai planté 5 coros (unité de mesure) de mil l'année dernière et tout a brûlé. » Mais Brahim Mahamat, chef de terre du village de Woudou relativise, « c'était à peine mieux l'année précédente, c'est une question d'habitude ». Face à cette situation de déficit chronique, les Kanembous élaborent des stratégies de survie.
« Les plus jeunes partent dans la région du lac Tchad pour labourer le maïs. D'autres sont partis à l'étranger, en Libye, au Cameroun, et c'est avec l'argent qu'ils nous envoient que l'on survit. » Brahim essuie les larges carreaux crasseux de ses lunettes avec le pan de son boubou. « Mais nous rationnons les repas depuis plusieurs mois, en général c'est un par jour. Les femmes n'ont plus de lait et les enfants tombent malades. Nous avons enterré le dernier cette semaine. »
« Contenir » la crise
La réponse de la communauté internationale face à cette crise rend Jean-Luc Siblot, le directeur du Programme alimentaire mondial au Tchad, assez optimiste. « Il nous reste 20 millions de dollars à trouver sur les 65 demandés, mais je pense qu'avec cette somme et la synergie des différents acteurs présents nous pourrons contenir l'essentiel de la crise alimentaire. Mais il faut d'ores et déjà penser à l'année prochaine. »
Contenir ou prévenir, telle est l'alternative. Car la liste des services de base à développer est bien longue : accès à l'eau, au système de santé, à l'école, et l'aide à l'agriculture sont les besoins les plus criants. Le gouvernement tchadien et la com- munauté internationale doivent redoubler d'efforts pour accom pagner les Kanembous qui maîtrisent, depuis des siècles, l'art de l'adaptation au milieu. Ou l'on verra naître, sur la place de l'Indépendance de Mao, de charmants petits hôtels pour loger des journalistes le temps de la pleine saison des famines.
« Les femmes n'ont plus de lait. Nous avons enterré le dernier enfant cette semaine »
Source : Sud ouest.fr