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Makaila, plume combattante et indépendante

Makaila.fr est un site d’informations indépendant et d’actualités sur le Tchad, l’Afrique et le Monde. Il traite des sujets variés entre autres: la politique, les droits humains, les libertés, le social, l’économique,la culture etc.

Deuxième partie: Interview Acheik Ibni Oumar

 

 

 

 




Lyadish Ahmed. – Les mouvements politico-armés viennent de créer une union à la tête de laquelle est désignée Timane Erdimi. Les médias ont fait état de l'influence des parrains soudanais pour cette désignation. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

 

Acheikh Ibn-Oumar. Si par « influence des Soudanais » on veut dire que ce sont les autorités soudanaises qui décident et que les mouvements tchadiens ne font qu'exécuter cela est entièrement faux. Cela relève de la propagande du régime de N'djamena, relayée par des compatriotes dont la majorité sont de bonne foi. Mais il n'est un secret pour personne qu'il y a des relations assez étroites entre l'opposition de l'Est et le Soudan et que le point de vue de ce pays est pris en compte dans la donne. En particulier les différentes personnalités qui ont émergé sur le devant de l'opposition avaient l'agrément de ce pays. C'était le cas de Mahamat Nour Abdalkarim et de Mahamat Nouri. Mais vous souvenez que malgré la préférence soudanaise, il y a toujours eu des mouvements qui avaient librement contesté ces dirigeants. Vous vous souvenez qu'en 2006, le CNT de Hassan Aldjinedi et le SCUD de Yahya Dillo avaient , après la création du FUC, contesté le leadership de Mahamat Nour et avaient fait bande à part malgré les conseils insistants des Soudanais qui avaient fini par respecter les choix de ces contestataires. De même, après l'émergence du général Nouri, le CDR dirigé par moi-même à l'époque, et l'aile du FUC dirigée par le frère Abdalwahid Aboud Mackaye, avions quitté l'UFDD pour former l'UFDD-Fondamentale au grand dam de nos amis soudanais. Plus récemment encore l'UFCD du général Adouma Hassaballah et l'UFDD-Fondamentale avait claqué la porte de l'Alliance Nationale (A.N.), en prenant à contre-pied le souci soudanais d'unifier l'opposition dans l'A.N. et sous la direction du général Nouri.

 

Autre chose, vous n'êtes pas sans savoir que depuis l'échec de l'attaque sur N'Djamena, les Soudanais suppliaient pratiquement les chefs de mouvements de ne plus se lancer dans de nouvelles aventures militaires sans une véritable unité.

Si les choses se réduisaient à un simple diktat de la part des Soudanais, ils n'auraient pas laissé les différents mouvements se tirailler pendant presque une année dans la recherche d'un leadership unifié.

 

La nomination de Timane a désagréablement surpris certains, et beaucoup pensent que Timane est très impopulaire dans les forces armées, ce qui est faux. Pour les combattants de base, chacun a sa préférence c'est vrai, en fonction surtout des affinités communautaires, mais, en même temps, pour les soldats et les officiers, le plus important c'est un cadre unitaire, quelque soit le dirigeant, afin de ne pas répéter la gaffe de février 2008; car chaque fois qu'il y a un manque d'unité, cela se traduit par des sacrifices inutiles, des centaines de camarades qui meurent ou qui se trouvent blessés sans résultat, bien sûr. Mais ça veut dire aussi rester des mois ou des années de plus, sous les arbres, sous les intempéries, en proie aux serpents et aux scorpions, à la dysenterie, au paludisme, loin de la famille, alors que ceux de votre âge pensent mariage ou études; ça veut dire aussi des ralliements désordonnés sous le coup de la lassitude au lieu d'une véritable réconciliation qui apporte des fruits au peuple. C'est pourquoi, la base combattante a appris , à travers l'expérience amère des rivalités internes, à faire sienne cette phrase de Napoléon: (je cite approximativement de mémoire)« Vaut mieux un chef idiot mais unique plutôt que plusieurs chefs intelligents »

Donc, il ne faut pas confondre le sentiment, réel et compréhensible du reste, d'une bonne partie de l'opinion tchadienne qui tend à dire « on ne veut plus d'un autre Zaghawa, ou d'un autre BETiste au pouvoir » et la conception des combattants sur le terrain.

 

L.A. – Le jour où a été rendue public l'information sur la création de l'UFR avec les textes constitutifs, nous avons pu lire une déclaration commune du FPRN et du CDR, critiquant l'attitude de certains mouvements armés envers le FPRN et le CDR et disant en substance que ces deux organisations se réservent en quelque sorte un droit de critique contre l'UFR. Pourquoi cette déclaration et quelle a été la réponse de l'UFR ?


Acheikh Ibn-Oumar. – L'information a été mal comprise à cause d'un simple problème de date. Je m'explique, en revenant un peu en arrière:

En août 2008, alors que les tractations informelles s'éternisaient depuis des mois, le frère Adoum Yacoub, Président du FPRN et coordinateur de l'UFC, avait pris l'initiative de proposer une réunion de concertation à travers une lettre aux chefs de mouvements où il disait entre autres, je cite textuellement : « il s’agit de trouver un contexte de dialogue entre les différents groupes de l’opposition armée pour diagnostiquer sereinement les raisons de la désunion, rechercher activement avec obligation de résultats un consensus politique pour un partenariat nouveau respectueux des différences, intégrant tous les efforts de lutte contre le régime clanique calamiteux, arrogant, et sanguinaire de N’djamena. »

Certains mouvements avaient répondu positivement: le CDR, l'UFDD-Fondamentale et l’UFCD, si ma mémoire est bonne.

À notre grande surprise quand les 5 mouvements ont formé la commission sur la recherche de l'unité, ils avaient ignoré la délégation du FPRN qui avait lancé l'idée au départ ainsi que celle du CDR. Ce n'est qu'après la signature du Manifeste créant l'UFR, que la dite Commission, après beaucoup d'hésitation avait convié nos deux mouvements à venir s'associer à la suite des travaux pour la signature ultérieure des Status et du règlement intérieur de l'UFR. En réponse à cette invitation, le CDR et le FPRN avaient adressé la lettre que vous avez mentionnée, pour critiquer la démarche et attirer l'attention sur la nécessité du débat critique à l'avenir; car non seulement nos deux mouvements avaient été écartés au début des travaux, sans aucune raison, mais le plus important, c'est que nous aurions souhaité une vraie discussion sur le fond des divergences, une analyse courageuse de nos faiblesse et la reformulation rationnelle d'un cadre de travail viable. Mais en même temps nous affirmions notre accord pour participer aux travaux et à intégrer immédiatement le cadre unitaire.  Après cette mise en garde, qui nous a permis de mettre le doigt sur certaines failles et surtout de nous donner la liberté de rouvrir le débat dans le futur, nous avons rejoint le processus de formation de l'UFR et nous avions signé avec les autres mouvements, les autres textes, à savoir les Statut et le Règlement intérieur, le 15 décembre.

Malheureusement cette lettre adressée après le CDR et le FPRN avant leur intégration à l'UFR, n' a été publiée qu'après la formation de l'UFR; ce qui a donné l'impression aux lecteurs que c'était une remise en cause de notre adhésion à l'UFR. Il faut que les compatriotes comprennent une chose : on peut très bien être dans un cadre unitaire et critiquer certaines démarches et certaines conceptions. Nous sommes tous des apprentis démocrates plus ou moins laborieux, et il faut qu'on prenne l'habitude de travailler sincèrement dans l'unité, tout en exprimant clairement des divergences. Si on n’arrive pas à accepter la divergence entre politico-militaires, comment pourrions-nous convaincre l'opinion que nous allons demain garantir un pluralisme politique au Tchad.

 

L.A. – Alors, pourquoi selon vous Ahmat Hassaballah Soubiane et Mahamat Nouri ne sont pas vraiment dans l'UFR ?

 

Acheikh Ibn-Oumar. – M'étant déchargé de mes responsabilités au sein du CDR, je n'ai pas participé directement aux discussions et aujourd'hui, je n'ai aucun titre officiel qui me permette de parler des problèmes internes actuels de l'UFR. Je m'en tiens, comme le reste de l'opinion, aux positions officielles exprimées publiquement par les uns et les autres.

Pour ce qui est du général Nouri, il est partie prenante de l'UFR; seulement il n'est pas membre du Bureau exécutif au sein duquel il a préféré désigner d'autres cadres de son mouvement l'UFDD. Quant au FSR du frère Ahmad Soubiane, il a publié un communiqué pour donner les raisons de sa non participation à l'UFR.

Si vous voulez mon sentiment personnel, je pense que le frère Soubiane a tout à fait le droit de demander des assurances pour qu'il n' y ait pas une monopolisation du pouvoir par Timane et son clan.

D'ailleurs une telle réserve serait valable même si on avait désigné un président autre que Timane. Il ne faut pas oublier que ces préposés à la succession de Déby, à commencer par moi-même,ont été responsables dans le régimes de l'UNIR et du MPS , et, à ce que je sache, on ne peut pas dire que la population tchadienne ait gardé un souvenir impérissable de notre passage aux affaires. Je souhaite que les ponts de dialogue ne soient pas rompus avec le FSR qui est des membres fondateurs de l'UFR et qui, je le révèle ici, était celui qui s'était le plus battu pour que le groupe des 5 mouvements fondateurs fût élargi aux autres mouvements.

 

L.A – Autre chose : beaucoup d'observateurs de la vie politique s'étonnent de l'absence de contacts entre la rébellion et les instances internationales comme l'ONU, l'OUA, alors que dans d'autres conflits similaires comme en Côte d'Ivoire ou même au Soudan, les rebelles ont une audience certaine auprès de ces institutions. (Pourquoi vous êtes ostracisés ?)

 

Acheikh Ibn-Oumar. – Comme l'a dit récemment le frère Albissaty dans son style peu nuancé, nous sommes plutôt nuls sur le plan diplomatique et médiatique.

D'abord, il y a la division. Chaque fois qu'il y a un événement ce sont des dizaines et dizaines de représentants plus ou moins légitimes de l'opposition qui démarchent les partenaires extérieurs, lesquels ne savent plus qui croire et qui ne pas croire. Mais il y a aussi le niveau très inégal du contenu des messages écrits ou oraux qui donnent une image négative du niveau des cadres dirigeants de l'opposition.

 

L.A. – Il y a évidemment des lacunes manifestes au niveau des représentations extérieures sur l’exigence pédagogique nécessaire auprès des institutions internationales. Mais peut-être que ces institutions sont tout simplement convaincues par l'accusation de "mercenariat" dont vous faites l'objet de la part de Déby…

 

Acheikh Ibn-Oumar. – Ce n'est pas l'impression que je retiens de mes contacts avec les pays frères et amis ou les institutions internationales. D'ailleurs même les pays qui soutiennent directement le régime reconnaissent en aparté que la situation du Tchad est pire que la description que nous en faisons. Les partenaires ne peuvent pas avaler cette légende de «mercenaires fabriqués par le Soudan » car ils savent que la plupart des opposants ont été des hauts responsables au Tchad et qu'ils les avaient connus et souvent appréciés en tant que tels.

 

L.A. – Mais le fait d'être soutenus sans ambiguïtés par les Soudanais ne contribue-t-il pas à réduire vos revendications à celles de simples "condottieri" comme vous accuse François Soudan de l’hebdomadaire Jeune Afrique ?

 

Acheikh Ibn-Oumar. – Le problème se pose autrement. Le conflit du Dar four a été déclenché et continue à être alimenté par certaines puissances qui pensent que tant que le régime de Khartoum n'est pas renversé, et tant que le Soudan n'est pas démantelé, leurs intérêts seraient menacés. Alors, si non seulement le Soudan n'est écrasé mais qu'en plus ce sont les alliés du Soudan qui prennent le pouvoir au Tchad; ce serait un vrai cauchemar.

Il y aussi le fait que beaucoup de gens ont des doutes sur les capacités d'une coalition hétéroclite comme celles que nous avons connues jusque-là, à instaurer un régime stable au Tchad. Ce qui est une inquiétude légitime d'ailleurs et que partagent les Tchadiens.

 

L.A. – Parlant d’inquiétude, les avis sont partagés sur les chances de l’'UFR de renverser Idriss Déby et son régime ?

 

Acheikh Ibn-Oumar. – Je n'ai jamais approuvé le discours de mes collègues politico-militaires qui, depuis l'époque de MDD au lac, claironnent sans rire « nous allons chasser Déby avant la fin de l'année »

Pour parler franchement, je ne suis pas tout à fait d'accord avec le fait d'avoir comme programme, les mesures que nous allons prendre après la chute du régime. D'abord le contexte international va nous obliger à négocier; c'est inévitable. Et la priorité immédiate ce n'est pas le programme de l'après-Déby mais c'est un programme bien étoffé de règlement politique , c'est sur cela que l'opinion internationale en particulier va juger de notre sérieux.

Pour moi le plus important, ce n'est pas savoir si on va renverser le régime dans trois mois ou dans trois ans, ou si va finalement trouver un compromis politique, mais de c'est construire patiemment, méthodiquement, une organisation cohérente, mettre en place des mécanismes de travail rationnels attirer des cadres intègres et compétents en grand nombre, reformer nos organes dirigeants pour mieux représenter la diversité de notre pays, donner une bonne éducation à nos combattants etc. Le reste, prendre le pouvoir par la force ou trouver un compromis avec le régime, c'est secondaire; car on si on solidement organisé on pourrait faire en sorte que l'un ou l'autre choix aille dans le sens de l'amélioration des conditions de vie concrètes de la masse de nos citoyens.

Cela dit, sur un plan purement technique, l'opposition a le potentiel pour remporter la victoire; mais il faudrait que les uns et les autres renoncent définitivement aux intérêts de personnes ou de groupes; sinon on pourrait remporter quelques batailles car nos combattants sont beaucoup plus motivés que ceux d'en face, mais on s'arrêtera à mi-chemin.

C'est pourquoi je cite souvent cette pensée : «celui qui court va vite; celui qui marche va loin.»

 

L.A – Pour terminer, tout le monde sait que vous avez des grandes ambitions pour le Tchad et personne ne doute de votre honnêteté. Mais pensez-vous pouvoir réaliser un jour votre rêve ?

 

Acheikh Ibn-Oumar. – Je vous laisse l'entière responsabilité de ce jugement sur mon honnêteté supposée.

Mon rêve... ce n'est plus un rêve.  Je ne suis plus le révolutionnaire idéaliste, lecteur enthousiaste de Marx et Fanon. Aujourd'hui ce qui m'anime, ce n'est pas un grand dessein messianique, mais simplement les aspirations élémentaires du Tchadien moyen, qu'on peut formuler de mille façons, à travers mille programmes politiques, et que je résume en cette phrase: l'avènement d'un système qui assure l'égalité des citoyens devant la loi et où les responsables doivent rendre compte de leur gestion.

Est-ce que cette aspiration est réalisable ? Je suis profondément convaincu que oui.

Peut-être que pour notre génération, je veux dire celle issue du Frolinat, trop d'occasions ont été ratées, mais elle a encore quelque chose de très important à faire: entamer un début de redressement et assurer un bon passage de relais à la génération qui nous suit et qui seule pourra parachever la tâche.

Par rapport à l'époque de nos premiers engagements, le contexte international a été chamboulé, la ferveur idéologique s'est évaporée, le tissus social national est en lambeaux, les déceptions à répétition ont fait naître un grand scepticisme chez beaucoup... donc les problèmes ne peuvent pas être appréhendés de la même façon, ni les solutions formulées à l'identique.

Mais au delà tout cela, je constate chez beaucoup de jeunes compatriotes, l'amour passionné de la patrie, la soif de participer à un projet national grandiose, le sentiment de révolte face à l'injustice et la médiocrité, et aussi la disponibilité à assumer les sacrifices nécessaires.

Ce qui manque, c'est le déclic organisationnel, le cadre de référence analytique, et des hommes-symboles en qui se reconnaître.

Cette lacune, la jeunesse a tout le potentiel pour la combler à condition de ne pas se laisser aller à la facilité du tintamarre cybernétique et du larbinisme vis à vis des grands caïds du pouvoir ou de l'opposition, mais d'avoir confiance en ses propres capacités à transformer la réalité et commencer à y travailler ici et maintenant.

 

Monsieur Acheikh Ibn-Oumar, je vous remercie pour la confiance que vous m’accordez.

 

Propos recueillis par

Lyadish Ahmed

Chroniqueur bénévole à :

La Dissidence

Presse libre d’investigations et de réflexions politiques sur le Tchad

e-mail : lyadish@yahoo.fr

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