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Makaila, plume combattante et indépendante

Makaila.fr est un site d’informations indépendant et d’actualités sur le Tchad, l’Afrique et le Monde. Il traite des sujets variés entre autres: la politique, les droits humains, les libertés, le social, l’économique,la culture etc.

Tchad: Dr Moussa Pascal Sougui " nous ne pouvons et ne devons plus nous taire face à la situation explosive dans notre pays"

Dr Moussa Pascal Sougui

Dr Moussa Pascal Sougui

Depuis quelques temps, le Tchad est devant une triple impasse, financière, sociale et politique, sans précédent. Depuis le viol de la jeune lycéenne Zouhoura en passant par la dernière élection présidentielle, la situation sociale et politique s’est fortement dégradée dans notre pays et devenue même très préoccupante :

 

1°) La situation financière est actuellement très critique au Tchad. Pour payer les salaires, chaque mois, des montages de toutes sortes sont mis en place à la va-vite pour constituer une masse salariale. Les banques sont fortement sollicitées pour payer les salaires. Pour certaines banques, c’est le deuxième mois consécutif qu’elles font des avances sur les soldes de leurs clients fonctionnaires. Mais, jusqu’à quand cette situation va-t-elle durer ? C’est la question que le ministre des Finances et du Budget s’était posé la semaine dernière au cours d’un entretien sur la chaîne de télévision publique. Quelques jours auparavant, Allamine Bourma Treya avait aussi prévenu l’Assemblée nationale que « depuis le début de l'année, toutes les recettes pétrolières servent uniquement à rembourser les créances contractées auprès de Glencore, voilà la réalité… », a-t-il ajouté.

Mais, paradoxalement, cette crise financière qui perdure depuis quelques temps n’inquiète pas du tout le président Idriss Déby Itno qui promet même que le paiement des salaires sera assuré et ne connaîtra « plus de retard criard ». Ce qui prouve que dans le pays de Toumaï, il y a beaucoup d’argent, mais pas dans les caisses publiques. En 2015, selon des sources fiables, c’était Saleh Déby Itno, l’ancien DG des Douanes, chez qui, près de 136 milliards de FCFA en liquide ont été retrouvés après son limogeage, qui aurait mis régulièrement la main à la poche pour payer les salaires.

Pour les fonctionnaires Tchadiens qui tirent le diable par la queue depuis plusieurs années, chaque fin de mois, c’est la croix et la bannière pour toucher leurs salaires dans un pays où la vie est extrêmement chère et où tout est importé et taxé très fort.

Selon certains observateurs de la politique tchadienne, cette situation de précarité sociale que vivent les fonctionnaires ne serait pas seulement un désordre financier, mais c’est aussi une nouvelle politique qui vise à tenir en joue les agents de l’Etat pour les garder loin des mobilisations politiques et citoyennes. Ne dit-on pas que ventre affamé n’a pas d’oreilles ?

Quelle que soit la réalité, cette situation de paupérisation et de stress permanent des fonctionnaires qui passent des journées entières à faire la queue devant les guichets des banques pour toucher leurs salaires est inadmissible car elle fragilise la paix sociale et la stabilité du pays.

Cette situation critique inquiète aussi la France. A l’occasion du 14 juillet, l’ambassadrice de France au Tchad a fait savoir que le Tchad a bénéficié de nombreux soutiens financiers et techniques des Nations Unies, de la Banque Mondiale, de la Banque Africaine de Développement, de l’Union Européenne et aussi de la France. C’est pourquoi, elle a appelé le gouvernement Tchadien à une gestion saine des richesses nationales, mais aussi des fonds mis à sa disposition afin de contribuer au développement du pays. « La question du respect des droits de l’homme et le climat politique actuel préoccupe également la France », a ajouté la Représentante de la France au Tchad. « La stabilité, la paix et le respect des droits humains sont des facteurs clés dans le développement des pays. A ce titre, la France y veille », a rappelé Madame Evelyne Decorps.

2°) Sur le plan politique, effectivement, la situation est très tendue actuellement au Tchad. Dans un pays démocratique, l’opposition constitue un contre-pouvoir, l’équilibre politique qui permet de stabiliser les institutions, d’avancer vers le développement et la modernité. Mais, dans notre pays, les opposants sont considérés comme des ennemis potentiels du pouvoir à qui il faut régulièrement montrer le bout du canon pour les garder au pas. Les six principaux candidats de l’opposition contestent encore la victoire du Président Idriss Déby après la présidentielle du 10 avril, et déclarent qu’ils « ne reconnaitront pas toutes les institutions qui seront issues de cette mascarade électorale », et menacent de former un gouvernement parallèle de « salut public » après l’investiture de Déby. Une coalition d’une quinzaine de partis a même réclamé une transition politique pour préparer la « tenue d’une nouvelle élection libre, transparente et crédible sous l’auspice de la communauté internationale ». Aujourd’hui, au Tchad, des paisibles citoyens sont même traqués et terrorisés pour leur simple militantisme au sein des partis politiques autre que le MPS, les leaders politiques ne reconnaissent plus le système dans lequel ils évoluent pour certains depuis plus de 20 ans, le climat politique et social est devenu tellement délétère.

Il faut reconnaître qu’en 26 ans, le président Idriss Déby n’a rien cédé, même pas une once de son pouvoir. Et rien ne présage qu’une alternance sera possible au Tchad même à la fin du mandat qui va commencer ce 8 août. Le pouvoir tchadien s’enfonce dans le déni complet de la situation intérieure et ne s’intéresse qu’à la politique extérieure. De ce fait, aucun dialogue n’est actuellement possible entre le pouvoir et l’opposition politique qui se regardent en chiens de faïence. C’est clair, au Tchad, c’est le statu quo politique !

3°) Sur le plan social, la tension est palpable, la grogne gagne tous les secteurs d’activité, grèves et menaces de grève, lois bafouées, arrestations arbitraires, injustice, humiliations, impunité, … sont les lots du quotidien des Tchadiens. Le champ des libertés se rétrécit à mesure que le pouvoir accumule des échecs, depuis plus de trois mois, Internet et les réseaux sociaux sont coupés au Tchad. La moindre manifestation pacifique, même syndicale, même contre les violences faites aux femmes au Tchad, est réprimée dans le sang.

Dans le monde, le rôle de la société civile dans le processus de démocratisation et de développement n'a jamais été aussi important que cette année. Mais, chez nous, au Tchad, les militants des droits de l’homme sont considérés comme des potentiels opposants au régime qu’il ne faut pas hésiter à les jeter en prison pour les faire taire.

Les tenants du pouvoir au Tchad doivent admettre que des organisations comme l’Union des Syndicats du Tchad (UST) et la Convention Tchadienne pour la Défense des Droits de l'Homme (C.T.D.D.H) qui militent depuis plusieurs années, l’une pour les droits des travailleurs et l’autre pour les droits de l’homme, ont le droit, à la veille de la présidentielle, de s’opposer à une éventuelle candidature du président Déby. Ces deux organisations peuvent, par exemple, se baser sur le bilan des 26 années du pouvoir de Déby, et considérer à tort ou à raison qu’un cinquième mandat est contre l’intérêt général des Tchadiens. Elles ont aussi le droit, la constitution le permet, d’appeler à manifester contre la candidature du président, elles sont dans leur rôle. Mais, de là, prendre les leaders de ces organisations et les jeter en prison pour « troubles à l’ordre public », c’est paniquer sans raison, et c’est aussi réduire à néant le rôle de la société civile. Jusqu’à preuve du contraire, les deux organisations de la société civile n’avaient ni chars d’assaut, ni une armée pour empêcher Idriss Déby Itno de se présenter à la présidentielle. Si on ajoute à tout cela que sur le plan humanitaire, plus de 2 millions de personnes des huit régions de la zone sahélienne du Tchad sont actuellement touchés par la famine, on peut affirmer sans exagérer que le climat social dans notre pays réunit tous les ingrédients d’un cocktail explosif !

Face cette crise grave et cette situation de blocage du Tchad, que devons-nous faire, nous cadres du pays ? Dans un pays où près de 4 adultes sur 5 ne savent ni lire ni écrire, les cadres ont-ils un devoir moral de veiller à l’intérêt général ? Il est des moments où l’intérêt général et l’avenir du pays doivent l’emporter sur les ambitions personnelles. Ou bien devons-nous continuer à garder le silence et prier pour qu’une issue soit trouvée à l’impasse politique actuelle et surtout prier pour que la guerre ne revienne pas au Tchad ? Sachant qu’un mutisme équivaudrait à une acceptation tacite de la situation actuelle. Le président Abraham Lincoln a dit que « le silence devient un péché lorsqu’il prend la place qui revient à la protestation, et, d’un homme, il fait alors un lâche ».

Pour ceux qui ne me connaissent pas, je m’appelle Moussa Pascal Sougui, je suis mathématicien et enseignant à Orléans en France où je vis depuis une vingtaine d’années. Depuis plus de 20 ans, je ne me suis jamais exprimé sur ce qui se passe au Tchad, ni pendant les périodes des rebellions, ni avant, ni après. Soyez donc indulgents et patients, en tant citoyen, je vais maintenant dire très haut mes préoccupations sur la situation dans mon pays.

Avant de publier cette tribune, j’avais contacté quelques personnes sérieuses au Tchad et à l’extérieur. Il faut reconnaître que la plupart des hommes politiques Tchadiens ont abdiqué devant le désespoir et les échecs. Les personnes contactées ont évoqué le rôle de la France sans laquelle rien ne peut se faire au Tchad. Comme, actuellement, l’armée française soutient le Président Idriss Déby, alors, selon les personnes contactées, seule une lutte armée peut apporter un changement au Tchad.

Mais, la France a ses intérêts et son agenda et nous ne souhaitons pas le retour de la guerre au Tchad. Alors, devons-nous croiser les bras et attendre que le vent change de direction, et que le changement au Tchad soit ordonné de l’extérieur comme d’habitude ? Non, Nous pensons que c’est à nous Tchadiens de trouver les solutions à nos problèmes dans la paix. Et nous pensons aussi que la diaspora a un rôle à jouer pour décanter la situation actuelle. Il faut croire qu’il existe encore des moyens politiques légaux pour faire bouger les choses au Tchad. Ne nous décourageons pas, Rome ne s’est pas faite en un jour !

Nous devons alors nous mobiliser ne serait-ce que pour canaliser l’énergie débordante de la jeunesse Tchadienne qui ne s’avoue pas vaincue et qui porte l’espoir du peuple Tchadien. Ce vaillant peuple qui a combattu le fascisme en Europe et qui combat actuellement le terrorisme en Afrique, et qui croupit dans la misère noire sur son propre sol.

Même si l’on pense qu’une alternance est impossible au Tchad à court terme, nous devons aussi nous mobiliser pour combattre les antivaleurs tels que le régionalisme, les détournements de fonds publics, la corruption, la dépravation des mœurs, … qui minent la société tchadienne.

Nous devons nous mobiliser aussi contre la déliquescence du système éducatif tchadien. L’amélioration du taux de réussite au Bac ces dernières années ne signifie nullement que les élèves Tchadiens sont devenus meilleurs en deux ans.

Après le tollé sur la baisse de niveau au Tchad, les sujets du Bac sont devenus tout d’un coup très abordables. Cette année, même les élèves les plus nuls ont trouvé très faciles les sujets donnés sur les premiers chapitres de l’année compte tenu des multiples mouvements de grève qui ont jalonné cette année scolaire. Il nous a été rapporté que le sujet d’histoire-géographie était un simple QCM sans rédaction ni argumentation, des profs d’anglais des collèges ont corrigé la philo et des juristes ont corrigé le français. La double correction du Bac a aussi été inventée pour tirer les notes vers le haut.

Non, aucune réforme n’a amélioré le niveau des élèves, mais c’est le Bac qui a été bradé pour faire croire à des performances fictives !

Le Bac Tchadien n’a plus la valeur d’antan très respectée dans les universités étrangères. Notre propos n’a pas pour objectif de critiquer l’action de mes collègues ministres chargés de l’Education et de l’Enseignement supérieur qui ne ménagent pas leurs efforts pour assurer une éducation de qualité. Nous dénonçons tout simplement une situation qui perdure malgré les différents forums et rapports.

Comment une amélioration du niveau des élèves peut-elle être possible au Tchad quand l’enseignement de base est assuré essentiellement par des maîtres communautaires (MC) dont la plupart ont au plus le niveau de la Terminale et aucune formation pédagogique ? Trois quarts des maîtres au Tchad sont des MC, dans le Mandoul et le Mayo-Kebbi, plus de 80% des maîtres sont des MC ! Le recours à des enseignants sans formation initiale est une des conséquences des guerres que le pays a connue de 1979 à 1982. Ils sont recrutés par des associations des parents d'élèves qui leur assurent un logement et un petit salaire car l’Etat n’avait pas suffisamment de moyens à l’époque. Ce qui devrait être provisoire dure depuis 34 ans malgré les années de pétrole, ils sont actuellement plus de 15 000 et l’Etat ne leur a pas versé les subsides depuis 25 mois. Récemment, la Secrétaire d’Etat à l’Education nationale chargée de l’Enseignement fondamental et de l’Alphabétisation, Mme Albatoul Zakaria qui est aussi une enseignante, a reconnu que l’Etat garde cette situation par souci d’économie. Quel scandale ! La semaine dernière, un brave gars qui est MC depuis 4 ans, m’a avoué sur Facebook qu’en 4 ans, il n’a reçu aucune formation pédagogique alors qu’il existe plus d’une dizaine d’écoles normales au Tchad. Actuellement, les MC sont en grève au Tchad pour revendiquer leurs arriérés de subsides et plus de 1 000 écoles sont restées fermées sur toute l’étendue du territoire national. Je salue leur action et j’apporte mon soutien total à tous ces maîtres communautaires qui doivent être formés dans les meilleurs délais et intégrés à la fonction publique.

Une autre situation aussi préoccupante est celle de la filière scientifique qui tend vers sa disparition au Tchad.

Sur les 5 dernières années (de 2011 à 2015), en moyenne 200 candidats obtiennent chaque année le Bac C, ce qui représente environ 2% de tous les admis au Bac chaque année.

Quand on voit ce résultat, on pourrait penser que les jeunes Tchadiens sont très fâchés avec les mathématiques, mais en fait, la réalité est tout autre. Le DG de l’Office National des Examens et Concours du Supérieur (ONECS) a avoué cette année devant les deux ministres, il y a très peu d’admis au Bac C parce qu’il y a une grave pénurie de professeurs des matières scientifiques au Tchad. Le président du jury du Bac a aussi tiré la sonnette d’alarme cette année. Pour lui, « si rien n’est fait, les séries scientifiques disparaitront au Tchad ».Ce n’est donc pas seulement un désengagement des élèves, c’est plutôt par manque de profs de maths et de physique que plus des trois quarts des élèves Tchadiens optent chaque année par défaut pour la filière littéraire.

Si l’on considère que plus de la moitié des étudiants africains échouent en Licence avant d’arriver en Master, on peut affirmer qu’en gros, le Tchad doit compter sur une centaine d’étudiants par an pour ses futurs Ingénieurs, informaticiens, médecins, vétérinaires, professeurs, scientifiques, pilotes, techniciens supérieurs, architectes, … pour un pays qui compte 12 millions d’habitants dont le président rêve de faire un pays émergent à l’horizon de 2030.

Les mathématiques apportent à l’économie française 285 milliards d’euros de valeur ajoutée, soit 15% du Produit intérieur brut, selon une récente étude. On observe des résultats similaires en Grande-Bretagne, 16% du PIB et 10% des emplois.

Il n’y pas au Tchad un secteur qui a bénéficié autant de financements que l’éducation. Des centaines de milliards de FCFA ont été investis, mais qui ont servi tout simplement à enrichir les amis politiques du président Déby.

A-t-on le droit de se taire quand l’avenir du Tchad à court et à long terme est en jeu ?

A ce sujet, en 2010, j’ai tenté d’interpeller par courrier le président Idriss Déby. Notre relation avec le président Idriss Déby est normalement fraternelle et correcte. J’ai envoyé deux courriers, l’un en courrier recommandé, l’autre par le service DHL qui transmet le courrier en main propre. A ce jour, aucune réponse.

En 2011, par courrier simple sans timbre, je me suis adressé à Nicolas Sarkozy président de la République française à l’époque pour lui faire part de mes inquiétudes sur d’éventuelles conséquences en Afrique de l’intervention en Libye. En moins de 10 jours, j’ai reçu une réponse du service des courriers de l’Elysée avec les remerciements du président français et par la suite, mon courrier a été transféré au service concerné qui m’a recontacté dans la même semaine.

Quand j’ai raconté à un ami qu’un certain « Jean » a signé l’accusé de réception de mon courrier envoyé par DHL, il m’a fait comprendre que la boîte postale N°74 de la présidence n’est pas le bon canal pour s’adresser au chef de l’Etat. Il fallait passer par la courtisanerie, m’a-t-il dit. Pour qu’un citoyen puisse contacter son président de la République, il faut qu’il soit coopté par un courtisan. Quelle honte ! Mais où est l’Etat dans tout ça ? Selon les dernières nouvelles, le président serait même « bunkérisé » par son entourage, on lui fait voir ce qu’ils veulent qu’il voit et on lui fait entendre ce qu’ils veulent qu’il entende. Ainsi va notre pays !

Face à cette situation critique et face à ces horizons bouchés, nous avons décidé de rompre avec le silence complice. Nous ne voulons plus être des spectateurs impuissants et nous refusons d’abdiquer. Désormais, nous allons nous battre aux côtés de tous ces hommes et femmes qui luttent pour leurs droits.

Le Tchad appartient à tous les Tchadiens !

Fait à Orléans, 18 juillet 2016

Dr Moussa Pascal Sougui

mp.sougui@free.fr

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